Cap sur Mer et après?

7 mars 2014

Deux jours avant le déclenchement de la campagne électorale, la députée des Îles à l’Assemblée nationale, Jeannine Richard, a annoncé comme un « grand bonheur pour tous les Madelinots » la vente de l’entreprise Cap sur Mer à la néo-brunswickoise LA Trading.

Il s’agit certes d’une bonne nouvelle pour les 400 travailleurs des usines de Grande-Entrée et de Gros Cap, dont l’inquiétude était palpable ces dernières semaines. Dans le contexte d’insécurité économique actuelle et à l’approche du trou noir de l’assurance-emploi dont on a du mal à prévoir l’ampleur, l’acquisition des actifs de Cap sur mer par une entreprise financièrement solide apparait comme une bénédiction. Les fournisseurs de l’entreprise, les partenaires d’affaires et les pêcheurs ont aussi de quoi se réjouir. Il s’agit d’une bonne nouvelle surtout pour le gouvernement du Québec qui se débarrasse ainsi d’un canard boiteux dans lequel il ne pouvait sans doute plus justifier d’investir des millions de dollars pour en assurer la survie. On se souviendra des critiques suscitées par l’injection de 5 millions $ le printemps dernier, strictement pour assurer la reprise des opérations pour la saison.Capture d'écran 2015-01-30 22.41.28

Si l’annonce a de quoi réjouir bon nombre de Madelinots sur le très court terme, il n’y a pas pour autant de quoi pavoiser. Cette «bonne nouvelle» confirme la perte manifeste d’influence des Madelinots dans l’industrie de la transformation depuis une quinzaine d’années. Alors que les usines Delaney, Madelipêche, Norpro, Gros-Cap, Madelimer et Cap sur Mer ont tour à tour cessé leurs opérations, fusionné ou été rachetées, Fruits de mer Madeleine demeure désormais la seule usine de propriété madelinienne.

Les critiques ne manqueront pas de faire remarquer que c’est un gouvernement souverainiste qui cède la plus importante usine des Îles à une entreprise dont le siège social est établi à Caraquet, dans la province voisine du Nouveau-Brunswick. Mais devant les deux seules offres d’achats reçues, avait-il le choix? LA Trading aurait offert une meilleure garantie quant au maintien des emplois, nous dit-on. Comment s’en plaindre? D’ailleurs, la vente de Cap sur Mer à l’entreprise E. Gagnon et fils, installée à Ste-Thérèse de Gaspé, n’aurait pas davantage freiné la perte d’influence des Madelinots dans l’industrie.

On a souvent entendu parlé aux Îles de la problématique de la relève chez les pêcheurs et les travailleurs d’usine. Mais qu’en est-il des industriels de la transformation? S’agit-il d’une perte de confiance des gens d’affaires en l’avenir des pêches, d’un manque d’intérêt ou de capital à investir ou une combinaison de ces facteurs?

Au siècle dernier, la communauté madelinienne s’est affranchie péniblement du régime des marchants-exploiteurs par le développement du modèle coopératif puis par l’établissement d’un certain nombre d’entreprises familiales. Les Gorton Pew, National Sea Products et consorts ont aussi plié bagages pour laisser place à des entreprises modernes de propriété madelinienne, appuyées ponctuellement par le gouvernement du Québec et soutenues par les autorités locales parce qu’ancrée dans leur milieu. L’intérêt financier des entreprises établies chez-nous s’alliait ainsi à l’attachement des propriétaires envers leur communauté, la recherche du profit favorisant aussi la création d’emploi et le développement économique.

C’est ce rapport de proximité, cette responsabilité envers le milieu qui disparait souvent avec le déplacement des centres de décision des entreprises, leur intégration verticale ou l’implantation des multinationales. À la faveur d’une crise, d’une réorganisation interne, d’une acquisition, bref, une fois que la rentabilité n’est plus assez grande, l’entreprise s’éclipse, ni vue, ni connue. Plusieurs ville mono-industrielles en ont fait les frais un peu partout au Québec, laissant les communautés en proie à la dévitalisation.

C’est pourquoi il est primordial que le gouvernement révèle les détails de la vente de Cap sur Mer et les engagements futurs de LA Trading. Bien des questions demeurent sans réponse quant à la valeur de la transaction, au plan d’affaires du consortium dirigé par Lyne Albert, aux conditions de travail des employés et aux exigences imposées par Québec quant à la pérennité des opérations dans les deux usines. Cela dit, Mme Albert fait preuve d’un enthousiasme certain relativement à l’avenir des opérations aux Îles. Elle apparait sensible aux défis économiques du milieu et démontre surtout un grand respect des employés de Cap sur Mer avec qui elle entend échanger avant d’enclencher quelque changement que ce soit aux opérations. Son expertise dans la commercialisation des produits marins sera certes un atout pour l’entreprise. Il faut donc espérer que l’amélioration du rendement des usines ira de pair avec l’intérêt des travailleurs, des pêcheurs et de la communauté en général.

Parallèlement, ce transfert de propriété ne dégage pas le gouvernement du Québec de toute responsabilité à venir. Québec porte en grande partie sur ses épaules la responsabilité de la situation actuelle où l’importance géo-stratégique de l’archipel dans le secteur des pêches s’est tellement affaiblie. Les gouvernements successifs ont tacitement encouragé la   rationalisation des usines et de la capacité de transformation des produits marins aux Îles. Le refus obstiné du gouvernement Charest à soutenir l’usine Norpro, en 2007, en est l’illustration la plus éloquente. En dépit des plans d’affaires et de relance, des manifestations de travailleurs, des représentations politiques et du plaidoyer pour le maintien des emplois et la survie économique du village de Havre-Aubert, le gouvernement fit la sourde oreille. La demande de prêt de 800,000$ était pourtant bien inférieure aux 32 millions $ qu’aura finalement englouti le gouvernement dans Cap sur Mer. Parallèlement, Québec donnait sa bénédiction à la fusion entre Madelimer et Pêcheries Gros-Cap et soutenait la modernisation de l’usine de Gros-Cap, puis la construction d’une nouvelle usine à Grande-Entrée. On a mis tous nos œufs dans le même panier, avec les résultats que l’on connait…

Entretemps, Québec n’émet plus aucun nouveau permis de transformation, selon l’avis d’un comité dit «d’intérêt public» qui se réunit à huis-clos et dont les recommandations sont secrètes. Plus aucune usine n’a l’équipement pour transformer le sébaste dans l’archipel alors que les stocks donnent des signes de rétablissement. Aussi, croyons-nous que Québec doit impérativement se doter d’une vision et d’une stratégie d’avenir relative à la transformation des produits marins aux Îles et cesser d’intervenir à la pièce, pour des raisons politiques ou économique à courte vue.

Avant de tourner la page sur Cap sur Mer, le gouvernement doit enfin faire la lumière sur l’un des plus grands fiascos politico-financier de l’histoire des Îles. Quel était donc le plan d’affaires de l’entreprise, pourquoi le gouvernement a-t-il investi autant, pourquoi le projet a-t-il si lamentablement échoué et ou est allé tout cet argent? À défaut, le vérificateur général du Québec devra tôt ou tard s’y pencher.

 

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