Cabinet Couillard : le poids politique de la région

Seul député libéral élu dans la région Gaspésie-Les Iles, on pouvait raisonnablement s’attendre à voir Germain Chevarie accéder au cabinet des ministres. La décision du premier ministre Couillard de l’écarter du cercle immédiat du pouvoir aura donc suscité la surprise, l’incompréhension, la déception. Cela vaut sans doute pour le député, mais surtout pour la région Gaspésie-Les Îles, désormais orpheline bien qu’annexée de facto au Bas-Saint-Laurent. Cette décision aura pour effet de réduire davantage le poids politique de notre région.

La nomination d’un cabinet constitue incontestablement le premier test d’un nouveau premier ministre. Il y confirme les orientations de son gouvernement et y dévoile ses priorités d’action. L’exercice est toujours délicat. Le choix repose sur des critères comme la parité hommes-femmes, la représentation régionale, la reconnaissance des compétences et de la notoriété de ses candidats élus, les états de service au parti et l’expérience parlementaire. Le chef en profite pour récompenser ses alliés et en punir certains autres. Cette fois, Philippe Couillard voulait aussi donner l’impression d’un renouveau sinon d’une cassure avec l’ère Charest. À cela s’ajoutait l’obligation toute particulière d’écarter le député mystère actuellement sous enquête par l’Unité permanente anti-corruption.

Au regard de toutes ces considérations, seul le premier ministre pourrait expliquer la ou les raisons qui l’ont poussé à ignorer le député des Îles-de-la-Madeleine. Cette décision est néanmoins marquante, lourde de sens et franchement déplorable pour les Îles et la région.

Une décision marquante parce qu’elle tranche avec l’approche des gouvernements précédents. Nouvellement élu en 2003, Jean Charest avait nommé la seule députée libérale élue dans la région, Nathalie Normandeau, ministre responsable de la Gaspésie et des Îles alors que le regretté Claude Béchard devenait responsable du Bas-Saint-Laurent. Le premier ministre Charest avait certes fait un accroc à la pratique lors de la démission de la ministre Normandeau, en septembre 2011, nommant le ministre Yves Bolduc comme parrain de la région plutôt que de faire une place aux députés Chevarie ou Mamelonet (Gaspé) au sein de son cabinet. On sentait toutefois la mesure temporaire puisqu’en fin de mandat. Pauline Marois avait d’ailleurs rétabli la situation en 2012 avec la nomination des ministres Lelièvre et Bérubé pour représenter les deux régions bien distinctes de la Gaspésie et des Îles et le Bas-Saint-Laurent.

La décision du premier ministre Couillard est lourde de sens en ce qu’il a choisi délibérément de réduire le poids politique de la région aux dépends des grands centres. Avec 26 ministres, M. Couillard s’est pourtant doté du plus gros cabinet des 10 dernières années, ce qui a d’ailleurs surpris les analystes en ces temps d’austérité. Mais surtout, il a préféré nommer 12 ministres de Montréal et trois autres de Laval et de la rive-sud. La nomination d’un nombre record de 19 adjoints parlementaires ne dupera personne sur l’importance relative des régions dans la composition du cabinet, bien qu’il s’agisse pour plusieurs députés, dont M. Chevarie, d’un prix de consolation apprécié puisqu’il est assorti d’une augmentation de 20 pour cent du salaire de base annuel de 90,000$ du député.

Par cette décision, le premier ministre Couillard refuse de reconnaître les spécificités territoriales – économique, sociales, culturelles et politiques – qui caractérisent nos régions. Après avoir perdu trois comtés au profit de Laval, la rive-sud de Montréal et la Montérégie lors du redécoupage électoral de 2011, avalisé par le gouvernement Charest, le poids politique de la région s’amenuise encore. Plusieurs Madelinots continuent de croire que le rattachement des Îles à la Gaspésie constitue un frein à notre développement. Candidat libéral aux élections de 2007, Pierre Proulx ne promettait-il pas la reconnaissance des Îles comme une région administrative à part entière, avec sa propre Conférence régionale des élus? On est loin du compte…

Le député de Rivière-du-Loup-Kamouraska, Jean D’amour, sera donc ministre délégué au Transport et responsable du Bas-Saint-Laurent, de la Gaspésie et des Îles. Un territoire immense, concède-t-il. Mais il n’y a pas que l’immensité du territoire. S’il peut parfois y avoir des causes communes, il y a surtout les arbitrages à faire dans les dossiers qui, hélas, nous divisent et nous mettent en concurrence.

Qu’on pense au développement éolien où le Bas-Saint-Laurent revendique 225 MW des 300 MW alloués par le précédent gouvernement aux deux régions. Quel sera l’intérêt du ministre à défendre les projets gaspésiens auxquels sont notamment associés des redevances anticipées d’au moins 500,000 $ annuellement pour les Îles-de-la-Madeleine. Quel sera le sort des projets au cœur de la Stratégie d’intervention gouvernementale pour la Gaspésie et les Îles?

Bien-sur, le député Chevarie aura l’occasion de plaider la cause des Îles et de la Gaspésie auprès de son collègue. Adjoint aux pêches, comme sa prédécesseur, il devra aussi s’assurer que le gouvernement continue de soutenir l’industrie en ces temps de crise. Il sera intéressant de voir comment le ministre Jean D’amour accueillera le projet d’inscription de la clause d’insularité dans l’ensemble des programmes gouvernementaux et quelle stratégie il préconisera pour éviter qu‘elle ne soit perçue comme un avantage indu aux Madelinots. Ce sera aussi M. D’amour qui devra porter la demande de la municipalité des Îles pour un programme spécifique afin de réparer les routes meurtries de l’archipel. Une telle demande avait cependant été rejetée du revers de la main en 2007, malgré un dossier étoffé, par une ministre déléguée au Transport pourtant sensible à la réalité insulaire, Julie Boulet, et sa collègue ministre responsable de la région Gaspésie-Les Îles, Nathalie Normandeau.

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