Un rendez-vous manqué

La bataille contre la réforme de l’assurance-emploi a encaissé son plus cuisant revers aux Îles, la semaine dernière, à l’occasion du rassemblement intitulé Quand y’a de l’emploi, j’y suis, tenu le jour de la Fête des travailleurs à la Place des Gens de mer. Un rendez-vous manqué.

Dans une place publique qui peut contenir 1000 personnes, on en dénombrait moins d’une cinquantaine, à peine plus d’une quinzaine si on exclut les organisateurs, les membres de la Table de concertation sur l’assurance emploi et leurs collaborateurs, le seul conseiller municipal présent, les journalistes et les techniciens. Quinze mois après la mobilisation qui a vu 4000 personnes prendre la rue pour contester la réforme, le contraste est saisissant.

Nous avons déjà traité ici de la résignation tranquille qui semble avoir pris le pas sur l’inquiétude généralisée et l’effervescence contestataire d’il y a un an. Or, cet évènement destiné à mettre en valeur le travail saisonnier constitue non seulement un coup d’épée dans l’eau mais, sur le plan stratégique, il représente un formidable aveu de faiblesse face au gouvernement Harper et à son mépris des régions et des travailleurs saisonniers.

Il fallait entendre le maire déclarer, le plus sérieusement du monde, que les Madelinots sont là pour lancer un message «haut et fort au gouvernement Harper»… On se serait cru dans un épisode des Beaux malaises, de Martin Matte. À moins que, cyniquement, ce rassemblement ne soit qu’un baroud d’honneur, une dernière bataille symbolique dont on sait qu’elle est perdue d’avance.

Au fait, pourquoi donc fallait-il se rassembler le 1er mai? Pour contester la réforme? Pour réclamer son retrait pur et simple? Pour demander le retour du projet-pilote des 5 semaines supplémentaires de prestations? Pour réclamer la reconnaissance du statut de travailleur saisonnier? Pour évoquer avec nostalgie le dur labeur de nos prédécesseurs? Pour défendre ensemble le statut quo économique en rêvant à des jours meilleurs? Les discours politiques ont évoqué un peu de tout cela, dans l’ordre et le désordre…

Devant un tel résultat, il serait évidemment commode de blâmer les Madelinots qui n’ont pas su répondre solidairement à l’invitation. On pourrait aussi prétexter que, ironiquement, le retour au travail saisonnier n’a pas permis aux gens de se mobiliser pour mieux le défendre et le valoriser. Nous croyons plutôt qu’en l’absence d’un plan de match, d’une stratégie cohérente, d’un enjeu clair, mobilisateur et qui incite à l’action, chacun a trouvé bien mieux à faire qu’un petit 5 à 7 en plein-air par un temps frisquet.

Cela dit, le froid n’a jamais rebuté les Madelinots lors des dernières grandes mobilisations populaires. La puissance de l’enjeu, une stratégie concertée, la cohérence argumentaire, un leadership solide et une vision de développement partagée sont les principales conditions de succès. Des éléments qui font cruellement défaut dans le contexte actuel.

Ce sont pourtant là les principes qui ont été observés dans la bataille pour un lien maritime à l’année et qui ont mené à la victoire en 2009. C’est également l’approche qui a permis la mobilisation monstre de 2013 sur l’assurance-emploi, dont les objectifs à court terme étaient de canaliser la grogne populaire, donner l’exemple aux autres régions touchées, mobiliser les partenaires régionaux et nationaux et obtenir une rencontre ministérielle à Ottawa.

Le 22 novembre dernier, le nouveau maire annonçait dans les médias que la table de concertation sur l’assurance-emploi se doterait d’un plan d’action pour remettre le dossier à l’avant-scène. Qu’en est-il? À un an des élections fédérales, quel est donc le plan de match pour faire monter la pression auprès du gouvernement? À qui appartient-il d’assumer le leadership du dossier, localement et sur le plan national? Sans tambours ni trompettes, la Conférence régionale des élus s’est maladroitement retirée de la coalition de l’Est du Québec contre la réforme, le mois dernier, prétextant un manque de ressources. Le vice-président de la CRÉ et maire des Îles a-t-il approuvé ce retrait? Quel message de solidarité et de mobilisation cela lance-t-il aux travailleurs madelinots et gaspésiens?

Plus important encore, quelle est la vision d’avenir dans laquelle s’inscrivait l’évènement de valorisation du travail saisonnier? Nous ne pouvons bien-sur que souscrire au fait que le travail saisonnier est noble, que l’industrie saisonnière nourrit littéralement le pays, qu’elle améliore son bien-être et que la pêche, l’agro-alimentaire et le tourisme contribuent puissamment au PIB du Canada et à sa prospérité.

Et si, justement, les Madelinots souhaitaient surtout se mobiliser pour travailler à la prospérité du milieu. Travailler à la création d’emplois stables, stimuler l’entrepreneuriat, favoriser la deuxième et troisième transformation des produits marins et du terroir, développer de nouveaux créneaux, assurer la formation de la main d’œuvre, prolonger la saison touristique et ainsi amoindrir notre dépendance aux transferts gouvernementaux. Tout cela en réclamant une juste contribution d’Ottawa et de Québec envers notre territoire insulaire, par le maintien des services publics de proximité et des investissements, l’adaptation des programmes comme l’assurance-emploi mais dans une perspective de développement plus autonome d’une communauté qui se prend en main, fière et ingénieuse comme on dit.

La valorisation du travail saisonnier, n’est-ce pas à travers les festivités entourant la reprise des activités de pêche et du tourisme qu’elle se concrétise à chaque année? Quant à la bataille de l’assurance-emploi, du moins l’adaptation du programme à notre réalité, c’est à travers une démarche politique réfléchie, argumentée et concertée qu’elle devra se poursuivre. Et la prospérité des Îles, c’est par d’un leadership fort des instances de gouvernance et la mobilisation des acteurs socio-économiques et des citoyens au sein d’un projet commun tel que le projet de territoire Horizon 2025 que nous pouvons espérer y concourir.

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