Au cœur des fondements de l’exercice démocratique

Le récent témoignage d’un ancien ingénieur-conseil pour les firmes BPR et Roche a attiré l’attention de la Commission Charbonneau sur plusieurs projets réalisés ces dernières années aux Îles-de-la-Madeleine. Parmi les nombreuses révélations du «témoin A», étalées au public sur une période de trois jours, aucune n’est plus troublante que celle qui lie directement l’organisation politique de Germain Chevarie à la publication d’un sondage «dirigé» destiné à favoriser l’élection du candidat libéral en 2008.

Les allégations de l’ancien vice-président de Roche André Côté, le 23 mai, faisaient déjà état d’un financement illégal de 5000 $ pour la campagne de M. Chevarie orchestré par la firme via des compagnies amies. Tous concluaient alors que le témoin évoquait le recours à la stratégie des prête-noms, qui consiste à camoufler des dons illégaux d’entreprises par l’intermédiaire d’électeurs individuels. Cette pratique a été maintes fois illustrée depuis le début des travaux de la commission dans de multiples témoignages. Ces méthodes de financement touchent plusieurs candidats de tous les principaux partis, ce qui a pour effet d’éclabousser toute la classe politique. Il s’agit certes d’une manœuvre électorale frauduleuse mais les élus s’en tirent le plus souvent avec le bénéfice du doute en plaidant l’ignorance quant à l’origine réelle des dons.

Dans le cas qui nous occupe, le député Chevarie a réfuté les allégations de M. Côté, affirmant qu’il ne connaît pas cet homme, qu’il n’était pas personnellement impliqué dans le financement de sa campagne et qu’il avait pleine confiance en son équipe. Face aux réfutations énergiques du député, il apparaissait qu’une divulgation de la liste des donateurs permettrait sans doute de confirmer la version de M. Chevarie.

Or, les propos du «témoin A» et les preuves déposées à l’appui de son témoignage portent plutôt sur un savant stratagème consistant à faire financer par des dons illégaux la réalisation d’un sondage «dirigé», dans l’objectif d’inverser la tendance perçue comme favorable au parti Québécois dans l’archipel.

Le témoin identifie Nancy Arbour et Roger Chevarie, le frère du député, comme ceux qui lui ont formulé personnellement la demande de financement et lui ont expliqué leur objectif politique lors d’une rencontre tenue au bureau de campagne. Une deuxième rencontre avec Mme Arbour et un représentant de la firme de communication Gémini aurait permis selon lui de sceller l’entente pour publier ledit sondage sur le Portail des Îles la veille du vote par anticipation.

Si la version du témoin était vraie, cela constituerait la plus sinistre atteinte au processus démocratique, une manœuvre frauduleuse qui surpasse, par sa gravité, l’ensemble des activités illicites dont la Commission Charbonneau nous abreuve depuis plus d’un an.

Dans un état de droit, la tenue d’élections «libres et régulières» figure comme la pierre angulaire de la démocratie. Plusieurs principes fondamentaux permettent de vérifier l’intégrité du processus électoral dont le suffrage universel et égalitaire, un processus électoral transparent, l’absence d’intimidation et l’accès à une information diversifiée et objective permettant aux électeurs d’exercer leur choix de manière libre et éclairée. C’est sur la base de ces principes que le Québec et le Canada participent régulièrement à des missions d’observation du processus électoral dans les pays sans tradition démocratique.

Ainsi, en période électorale, on le sait, le sondage a non seulement pour effet de refléter l’opinion publique mais il contribue à la façonner. D’où l’importance de la neutralité totale des médias et des firmes de sondages. L’importance aussi d’adopter une méthodologie au-dessus de tous soupçons et, idéalement, la nécessité de faire plus d’un coup de sonde pour assurer la validité d’une tendance exprimée.

Se servir sciemment d’un sondage comme outil de propagande électorale serait donc une

En campagne électorale, les organisations politiques disposent d’outils de promotion et d’un budget limité et encadré par des règles strictes. Les candidats doivent informer, persuader, convaincre. L’utilisation d’un sondage comme un outil de propagande, destiné à manipuler l’opinion publique, serait donc un acte de désinformation servant plutôt à flouer les électeurs, à les induire en erreur. La simple intention de procéder de cette façon serait déjà la preuve de moeurs électorales condamnables.

Il faut donc souhaiter que les propos du témoin, dont l’identité n’a pas été révélée pour des raisons de santé, ne soient que pure invention. L’ingénieur-conseil, actif aux Îles pendant plus de 25 ans, a néanmoins livré un témoignage cohérent, détaillé et précis quant aux dates, aux chiffres et aux rencontres auxquelles il réfère. Ses propos sont appuyés par de nombreuses pièces documentaires, des courriels et des factures saisis par les enquêteurs de la commission et qu’il n’a pas pu falsifier.

On sait par ailleurs qu’un sondage a été publié et donnait le candidat libéral en avance avec 48% des intentions de vote.

Le député Chevarie a quant à lui réitéré qu’il n’a rien à se reprocher, qu’il a toujours agit avec transparence et intégrité. Et puisqu’une enquête de l’UPAC est en cours, il ne commentera pas davantage et entend continuer de collaborer à l’enquête.

De son côté, Gemini 3D affirme que le sondage a été commandé par Roche, qu’il a été réalisé par une firme professionnelle et publié sans intervention de la part de la firme madelinienne. «Quant aux factures, écrit-on, devant la difficulté à nous faire payer nos services, nous avons accepté de faire des factures séparées à des entreprises identifiées par Roche.» Les autres acteurs de cette affaire, individus et entreprises identifiés par le témoin, présenteront sans doute aussi leurs versions des faits.

Cet épisode sombre de notre histoire démocratique doit être approfondie, expliquée et clarifiée. Ce que la Commission Charbonneau ne fera vraisemblablement pas, l’UPAC a le pouvoir de le faire, en collaboration avec le Directeur général des élections, afin de rétablir la confiance des Madelinots dans le processus démocratique. Les Madelinots ont le droit de savoir ce qui s’est réellement passé.

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