Le déversement de diésel dans le port de Cap-aux-Meules, survenu jeudi dernier, ramène à l’avant-scène avec éclat de nombreuses questions relatives à l’environnement et à l’approvisionnement énergétique aux Îles mais aussi au mode de gouvernance à courte vue qui domine le paysage politique actuel. Alors que les dégâts du passé nous rattrapent – Corfu Island, puits de la SOQUEM, Irving Whale – le présent se charge de nous rappeler que l’avenir, comme l’enfer, est pavé de bonnes intentions. Malgré les assurances et les engagements vertueux, il se dégage parfois de tout cela l’impression qu’on nous prend pour des valises.
Sans vouloir minimiser la catastrophe environnementale, disons d’abord que le bris du pipeline d’Hydro-Québec n’aurait pas pu survenir à un meilleur moment. Imaginons un instant que cela se passe en pleine saison de pêche au homard, avec des bateaux prisonniers derrière les estacades. Imaginons l’accès au port fermé au cœur de la saison touristique. Imaginons une tempête d’automne ou une fuite imperceptible sous le couvert de glace hivernal…
Après une pathétique valse-hésitation de plusieurs jours, Hydro-Québec a reconnu sa responsabilité dans le déversement. La conférence de presse, tenue samedi en direct à la radio, était une pièce d’anthologie dans la manière de détourner les questions et de parler pour ne rien dire. Il était remarquable de voir à quel point les questions de la journaliste comprenaient davantage d’information que les non-réponses du porte-parole de la société d’état.
En début de semaine, le PDG d’Hydro-Québec en personne, Thierry Vandal, venait à la rescousse, se faisant rassurant quant aux questions financières, environnementales et énergétiques, allant même jusqu’à s’excuser auprès des Madelinots pour le préjudice causé.
Tant qu’à y être, M. Vandal aurait pu s’excuser de retenir indument l’information sur les circonstances exactes du déversement, sur les tests hydrostatiques qui ont mal tourné et sur la quantité réelle de diésel déversé dans la nature. D’ailleurs, pourquoi des milliers de litres de diésel s’échappent-ils d’un pipeline de mazout lourd destiné à la centrale?
De façon plus générale, et puisqu’il ne vient pas souvent dans l’archipel, M. Vandal aurait aussi pu s’excuser d’avoir coupé court aux discussions sur l’avenir de la centrale et sur le projet de raccordement au continent sans informer correctement la population. S’excuser du peu d’intérêt manifesté par Hydro-Québec pour le projet de stratégie énergétique de l’archipel, s’excuser d’avoir remis aux calendes grecques l’enfouissement des fils aux abords du pont de Havre-aux-Maisons et d’ignorer l’érosion causée par l’enrochement des poteaux dans le secteur, etc.
Nous sommes néanmoins rassuré de savoir qu’Hydro-Québec paiera pour toute l’opération nettoyage… avec l’argent des Québécois. Comme la société d’état assure déjà depuis 20 ans les coûts du suivi des sols contaminés de l’ancienne centrale, près des puits d’eau potable municipaux.
Il est aussi rassurant que le gouvernement se préoccupe de nos malheurs et envoie deux ministres sur les lieux, le ministre Jean D’amour, responsable de la région, ainsi que le ministre David Heurtel, de l’Environnement.
Ce qui l’est moins, c’est le caractère improvisé et, disons-le, superficiel de la visite ministérielle. Trop tôt pour tirer des leçons de la catastrophe, affirme M. Heurtel. Et pour les suites aux recommandations du rapport du BAPE sur l’exploitation pétrolières et gazières, alors? Et pour le règlement sur la protection de l’eau potable adopté cet été en ignorant la particularité insulaire? Et pour le débat sur l’exploration pétrolière en mer, au large des Îles? Et sur l’invitation à rencontrer la commission sur les hydrocarbures, restée lettre morte depuis des semaines?
Ces considérations, dont la portée est pourtant à long terme, ne semblent pas davantage intéresser le ministre.
Revenons donc à la question des pipelines. Qu’en-t-il du rôle des agents du ministère de l’environnement? Quelles sont leurs exigences envers Hydro-Québec? Le rôle du ministère de l’environnement ne serait-il pas de surveiller attentivement les opérations et d’informer la population? Le pipeline d’Esso sera-t-il inspecté à son tour, ne serait-ce qu’à titre préventif? Et la contamination des sols au centre de Cap-aux-Meules, dont on ignore l’étendue réelle mais qui fait déjà l’objet d’un litige juridique, le ministère de l’Environnement s’en soucie-t-il?
Même s’il s’agit à la base d’un déversement terrestre, sa percolation dans le havre soulève la question des interventions en mer. Le maire Lapierre réclame d’ailleurs de Québec l’implantation aux Îles d’un centre d’intervention d’urgence. Pas une mauvaise idée, dans la mesure où l‘archipel cherche à tirer avantage de son positionnement géostratégique dans le Golfe. Sauf qu’il vise la mauvaise cible. En effet, la loi sur la Marine marchande attribue la responsabilité des déversements en mer aux armateurs eux-mêmes, par le biais de la Société d’intervention maritime de l’est du Canada (SIMEC), et à la Garde-Côtière canadienne. Le député Chevarie a dit appuyer sa demande. En période d’austérité, peut-on vraiment penser que le gouvernement Couillard réclamera le rapatriement au provincial de ce champ de compétence? À moins que ce soit une caution permettant de rassurer les Madelinots face à d’éventuels forage pétroliers en mer.
Au-delà de toutes ces questions, se profile une grande réflexion : entre la situation d’urgence, où le temps est à l’action, et la décision gouvernementale trop souvent annoncée comme un fait accompli, quel espace reste-t-il pour le débat public?
Les Madelinots ont participé aux audiences des EES du bassin Madeleine et de l’est de Terre-Neuve, à la consultation sur le règlement sur la protection des sources d’eau potable, aux audiences du BAPE et à celles de la commission sur les enjeux énergétiques. À travers tous les témoignages, il y avait cette volonté des Madelinots d’être entendus et respectés dans leur ambition de protéger leur territoire, d’y vivre et de prospérer, sans devoir faire leurs valises.