L’insularité discrétionnaire

Lors d’une visite-éclair aux Îles cette semaine, le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, a confirmé le soutien gouvernemental de 1,2 M$ au projet de réfection de la mairie des Îles. Interrogé sur le taux d’aide somme toute modeste de l’annonce, soit 50% des coûts estimés, le ministre a livré un plaidoyer pour le rétablissement du pouvoir discrétionnaire ministériel, rejetant pour de bon la reconnaissance de l’insularité souhaitée par les Madelinots.

Par cette annonce, le ministre confirmait ni plus ni moins l’engagement pris par le gouvernement précédent au printemps 2013 malgré le régime minceur et les coupures que le gouvernement Couillard s’apprête à imposer aux Québécois. Ce n’est pas banal. Or, c’est en expliquant qu’il avait les mains liées par les normes de financement du programme révisé et bonifié par son prédécesseur péquiste que le ministre Moreau balaie une fois pour toute la demande des Madelinots pour la reconnaissance des surcoûts de l’insularité.

Le fait d’habiter un archipel au cœur du Golfe Saint-Laurent comporte des contraintes socio-économiques et financières évidentes dans la prestation de services publics, le développement entrepreneurial, la construction, la gestion du territoire, les transports, les télécommunications, l’accès à la culture, etc… Ces facteurs sont objectifs et vérifiables et devraient être pris en compte par un État soucieux d’offrir l’équité à l’ensemble de ces citoyens, dans l’ensemble de ses services et de ses programmes de soutien.

Assimiler la reconnaissance de l’insularité au pouvoir discrétionnaire d’un ministre relève soit de l’ignorance du dossier, soit de la malhonnêteté intellectuelle. Ce serait pervertir les aspirations légitimes des Madelinots pour une reconnaissance objective des facteurs socio-économiques et géographiques liés à leur situation insulaire et qui les défavorisent que d’associer cette demande au pouvoir discrétionnaire d’un ministre.

Il faut dire que plus tôt cet été, le ministre Moreau avait déjà laissé peu d’espoir aux élus municipaux en déclarant que le fait d’accorder un statut particulier aux Îles-de-la-Madeleine «serait réducteur». On croyait avoir mal compris. Aujourd’hui, en réponse aux aspirations d’une communauté à la reconnaissance d’un état de fait, l’insularité, on oppose le noble l’octroi d’un pouvoir discrétionnaire au ministre. Misère…

Si le ministre a les mains liées dans le dossier précis du projet de réfection de la mairie, c’est que la même norme sur le taux de financement s’applique mur à mur à travers tout le Québec. C’est à cela que le gouvernement doit s’attaquer, c’est sur la modulation des programme qu’il doit se pencher tel qu’il s’était engagé à le faire dans le cadre de la politique nationale de la ruralité il y plus de 12 ans.

Si le ministre a les mains liées, c’est aussi parce que le gouvernement précédent a entrepris un premier ménage dans l’administration des programmes de subvention pour limiter l’arbitraire du pouvoir politique.

Les Madelinots connaissent bien les conséquences négatives du pouvoir discrétionnaire ministériel tel qu’il s’exerce dans le secteur des pêches par le pouvoir fédéral, au mépris des historiques de pêches et des règles les plus élémentaires de gestion des espèces.

Sur le plan provincial, le pouvoir discrétionnaire ministériel signifiera toujours, qu’importe la légitimité de la demande ou la qualité du projet, qu’il faut voter du bord.

Il est d’ailleurs désespérant d’entendre l’apologie du pouvoir discrétionnaire ministériel alors que les nombreux abus signalés devant la Commission Charbonneau n’ont pas encore été consignés dans un rapport, attendu en avril 2015. Pressé de s’occuper des «vraies affaires», le gouvernement peut-il déjà agir comme si l’éventuel rapport avait déjà été tabletté ?

On peut difficilement imaginer que la Commission Charbonneau n’accouche pas d’un minimum de recommandations pour baliser le pouvoir discrétionnaire des ministres, sachant qu’il a ouvert la porte à tous les copinages, les retours d’ascenseurs, à la collusion assaisonnée au régime des prête-noms et aux traitements de faveurs de tout acabit.

En attendant, les élus madelinots doivent refuser clairement de s’inscrire dans ce paradigme et réitérer leur revendication pour une reconnaissance pleine et entière de l’insularité par l’état du Québec en rejetant le retour du cas par cas qui confine à la mendicité politique perpétuelle.

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En l’absence du maire lors de cette annonce attendue, le conseiller de Cap-aux-Meules, Richard Leblanc, a réitéré au ministre Moreau la demande pour un rehaussement du soutien financier à 60% des coûts. On rappellera sûrement au ministre que la municipalité de Grosse-Île avait obtenu un taux d’aide majoré à 85 % par la ministre Nathalie Normandeau, soit 1,5 millions $, pour la construction de sa mairie en 2008. Or, pendant ce temps, les demandes de la municipalité des Iles étaient déclassées, voire carrément perdues dans les dédales de l’administration gouvernementale. C’est aussi cela, le pouvoir discrétionnaire.

Si la municipalité peut certes revendiquer un meilleur financement pour la réfection de la mairie, un projet dont les détails seront vraisemblablement livrés aux contribuables dans les prochains mois, elle ne doit pas perdre de vue que la reconnaissance réelle de l’insularité rapportera bien davantage à long terme.

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