Le gouvernement Couillard s’apprête à abolir les Centres locaux de développement et les Conférences régionales des élus, en plus d’affaiblir considérablement la capacité d’action des Carrefours jeunesse emploi. Ce démantèlement en règle des outils de développement qui ont fait leurs preuves augure des jours bien sombres pour l’économie de nos régions.
La manœuvre est si énorme et les impacts anticipés si importants qu’on ne sait plus s’il faut déplorer davantage le manque de vision des libéraux, l’absence de consultation et d’information qui caractérise l’opération ou l’incompréhension des réalités régionales que ces décisions traduisent. La réaction du gouvernement aux critiques que risquent de provoquer sa décision nous permettra de mieux juger s’il s’agit d’incompréhension ou indifférence envers les régions.
Même l’ex-ministre Nathalie Normandeau, dont on ne peut remettre en question la foi libérale, a pourfendu le gouvernement en déclarant qu’on revient 30 ans en arrière. Comme plusieurs autres, elle déplore que les coupes actuelles reposent sur une approche «mur à mur» centralisatrice qui tranche avec la modulation souhaitée des programmes aux réalités régionales, en respect de la dynamique des territoires.
Le préjugé gouvernemental est que les structures sont inefficaces, coûteuses et se dédoublent. Dans son obsession du déficit zéro, le gouvernement sacrifie le modèle actuel sans égards aux réussites qu’il a pu générer et sans véritable solution de rechange.
Fini le CLD
Dans sa mission de contribuer au développement économique, le CLD des îles a été de tous les combats. Avec la MRC, il a favorisé la mise en oeuvre d’un plan de sortie de crise qui, à partir de 1998, a contribué à sortir l’archipel du marasme provoqué par le moratoire sur la pêche au poisson de fond et la réforme de l’assurance chômage.
Le CLD a été un partenaire-clé dans la mise en place et le succès de plusieurs outils de développement collectif : câbles de fibre optique sous-marins, le Bon goût frais des Îles, le circuit d’arts visuels et métiers d’arts, Escales Îles-de-la-Madeleine, etc.
Il a contribué à la réalisation de nombreux projets d’économie sociale, y apportant souvent la part du milieu cruciale à l’obtention d’un financement gouvernemental. Il a soutenu la relance ou le maintien de l’Abattoir régional, de l’Aquarium, du Centre d’archives, de l’Association culturelle de Havre-Aubert et continue de soutenir la concertation et les projets porteurs en culture, en tourisme, en agroalimentaire, en pêche, en matière d’énergie et de transport et dans la recherche.
Il a surtout contribué à l’émergence d’une fibre entrepreneuriale aux Îles par des services d’accompagnement aux promoteurs dans l’élaboration de plans d’affaires, avec une attention particulière au démarrage et au transfert d’entreprises, à l’innovation, à la relève.
Le gouvernement veut amputer 50% du budget du CLD, mais laisserait aux MRC le soin de préserver ou non la structure. Avec 300,000 $ de moins en poche, la municipalité des Îles devra donc choisir entre trois options: augmenter les taxes, faire le deuil des subventions au développement économique local ou sacrifier l’expertise et les 6 emplois du CLD pour absorber la gestion à même ses effectifs actuels.
Finie la CRÉ
En plus de confier aux élus de la MRC la responsabilité du développement économique local, le gouvernement abolira aussi les Conférences régionales des élus pour redonner du pouvoir aux tables de préfets. Avec 50 % moins de budget.
En somme, le brassage de structures proposé donnera plus de responsabilités et de pouvoir aux élus, accordera moins d’argent et d’expertise au développement social, économique et culturel local et régional et il éliminera formellement l’apport des représentants de la société civile et du monde des affaires.
La CRÉ a pourtant développé ces dernières années en Gaspésie et aux Îles une capacité exceptionnelle d’intervention et d’action structurante en développement régional. Elle dispose d’un Fonds d’intervention régionale de plus de 2,5 M$ et gère des ententes spécifiques d’intervention gouvernementale en région, notamment pour la mise en valeur des ressources naturelles, le développement social, l’immigration, le soutien à la jeunesse et aux aînés.
Avec un leadership politique fort et une équipe compétente, la CRÉ a insufflé ces dernières années une meilleure cohésion au développement régional. On lui doit entre autres la mise en place du transport collectif et le développement éolien communautaire. De nombreuses interventions politiques, financières et de concertation ont été fructueuses en matière de développement économique, d’éducation, de culture, de télécommunications, de transport, de tourisme et développement durable.
À cela s’ajoute le soutien financier à nombre d’organismes régionaux, dont la Commission jeunesse, GimExport, la Société de développement maricole, le Bon goût frais des Îles, Escale Iles-de-la-madeleine, le CERMIM. La CRÉ a financé de nombreux projets de développement ainsi que des initiatives comme le Fonds de développement touristique des îles et le programme d’aide au transport des jeunes en sport et loisir. Toutes ces mesures, tous les projets à venir écoperont d’une manière ou d’une autre.
Pour compléter le tableau, on évoque la mise en tutelle des Carrefours jeunesse emploi, qui seraient désormais chargés de répondre à la clientèle d’Emploi Québec plutôt qu’aux jeunes directement. Responsables de favoriser l’insertion sociale et économique des jeunes dans une région où l’exode sévissait durement, les CJE ont pourtant contribué à rééquilibrer le solde migratoire en faveur de nos régions. Or, le défi démographique est loin d’être derrière nous. Et les conséquences économiques d’un abandon de cet enjeu sont inquiétantes.
Ces diverses mesures d’austérité frapperont donc, plus que partout ailleurs, les régions comme la nôtre qui ont réussi à mettre à profit le modèle et les structures de développement à leur disposition en leur donnant une couleur locale et régionale et en se prenant en main. S’il maintient le cap, le gouvernement élu sur la promesse de relancer l’économie risque au contraire de provoquer chez nous de graves soubresauts.
Motivée par l’atteinte rapide du déficit zéro, la décision gouvernementale d’abolir les CLD, les CRÉ et d’avilir les CJE créera un déficit d’investissement, un déficit démocratique et un déficit d’engagement citoyen qui affaibliront encore nos régions.
