La résignation

«Seules sont perdues d’avance les batailles qu’on ne livre pas.»

-Anonyme

Alors que le Québec des régions est aux abois depuis plus de deux semaines devant la réforme de la gouvernance régionale – et des coupes budgétaires sans précédent – qu’entend imposer le gouvernement Couillard, la classe politique de l’archipel s’enferme dans un mutisme résigné.

Ce silence navrant, voire complice, face à l’abolition prochaine de la CRÉ et du CLD, le bras économique de la municipalité, est particulièrement éloquent dans le cas du maire des Îles, Jonathan Lapierre. Et il tranche avec la colère qu’expriment les élus de la Gaspésie et de bien d’autres régions du Québec.

Touche pas à ma région

Que ce soit au Bas-St-Laurent, comme dans Charlevoix, en Abitibi, au Saguenay et sur la Côte-Nord, maires et préfets dénoncent l’approche gouvernementale. Des maires d’un peu partout reprochent aussi à la Fédération Québécoise des Municipalités et à l’Union des Municipalités du Québec d’avoir abdiqué devant le coup de force du gouvernement et d’avoir signé, sans consultation, une entente qui les privera de 300 millions de dollars. Les élus locaux et régionaux se portent à la défense de leur modèle de développement, de l’expertise économique durement acquise depuis 15 ans et de leur région.

À la CRÉ Gaspésie-Les Îles, le président et maire de Gaspé, Daniel Côté, a assumé ses responsabilités politiques pour se porter à la défense de l’organisation dans la presse régionale et les médias sociaux. Une campagne de mobilisation régionale a été lancée et un grand rassemblement s’est tenu sous le thème Touche pas à ma région, Gaspésie-Les Îles. Or, aux Îles, bien qu’occupant la vice-présidence de la CRÉ, le maire Lapierre s’enferme dans un mutisme qui traduit un malaise, une indifférence ou la résignation.

En tant que président du CLD, le silence n’en devient que plus lourd de sens. Au moment d’écrire ces lignes, il n’a même pas déploré l’abolition de l’organisme qu’il préside et la perte de cinq emplois qui en découlera. Aucune réaction non plus à la campagne de l’Association des CLD du Québec intitulée Jamais sans mon CLD. Le CLD des Îles a bien publié un communiqué, mais il est signé par l’équipe, et non par son représentant politique. Comme si le capitaine avait déjà largué l’équipage et quitté le navire en perdition.

Le CLD en chiffres

En guise de rappel, mentionnons que depuis six ans, le CLD des Îles a ouvert quelque 500 dossiers, favorisé la réalisation de 265 projets permettant de créer ou maintenir pas moins de 400 emplois aux Îles. L’organisme a accordé 2 millions $ en aide financière générant 33 millions $ d’investissements dans le milieu.

Le CLD est identifié comme le porteur de 12 des 19 actions en matière de développement économique dans le projet de territoire Horizon 2025. Qui assumera la relève, avec quelle expertise et avec quel argent? Un effet domino est aussi à prévoir sur des organismes comme le CERMIM, le Bon goût frais des Îles, Escales Îles-de-la-Madeleine et Arrimage qui obtenaient des fonds du CLD et de la CRÉ.

En plus d’abolir le CLD et de retrancher 50% des sommes consenties au développement économique des Îles, le gouvernement Couillard sabre dans les finances municipales et ampute 300 millions de transferts aux municipalités. Pour dorer la pilule, Québec dit accorder plus de pouvoir au palier municipal. Les critiques du monde municipal fusent de toutes parts.

En effet, la réforme de la gouvernance régionale apparait comme un écran de fumée pour résorber le déficit du Québec sur le dos des régions. Il s’agit bien sûr d’un cadeau de grec, comparable au transfert des routes provinciales aux municipalités en 1993. Un pelletage de responsabilités aux municipalités, sans les ressources financières conséquentes. Les municipalités, qui n’ont jamais cessé de décrier la réforme Ryan depuis 20 ans, ont pourtant baissé les bras, de l’aveu du président de la FQM, Richard Lehoux.

Comment notre maire, pourtant si présent sur les réseaux sociaux, peut-il se déguiser en courant d’air sur une question aussi cruciale pour les finances municipales et l’économie des Îles? Au bas mot, le manque à gagner serait de 350,000 $ pour la municipalité des Îles seulement, sans compter les 300,000$ manquants en développement économique. Va-t-on opter pour des hausses de taxes ou des baisses de services?

Une vision du développement

Le maire Lapierre connaît d’ailleurs fort bien le dossier puisqu’il siège au comité exécutif de la FQM qui a accepté de signer une entente qui consacre la coupe de 300 millions. Il sait aussi que la décision est irrévocable et n’a rien d’une rumeur. On aimerait en savoir davantage, comprendre pourquoi les élus en sont arrivés là, et les conséquences anticipées pour les régions? S’il approuve l’approche gouvernementale, qu’il nous en explique les bienfaits. S’il s’y oppose, fondamentalement, il ne peut l’accepter sans mot dire. Ne serait-ce que pour affirmer une vision, des principes, une solidarité. Et agir en conséquence.

Certains diront que la bataille est perdue d’avance. Or, si les élus des Îles avaient opté pour cette approche, jamais auraient-ils fait reculer le fédéral sur la cession du port de Cap-aux-Meules, jamais aurait-on obtenu le traversier à l’année, jamais aurions-nous sauvegardé la station d’information de vol de Nav Canada, etc.

La municipalité est bien sûr en demande actuellement dans de multiples dossiers face au gouvernement. Nouvelle mairie, nouveau garage municipal, nouveau centre-ville à Cap-aux-Meules, arénas, réseau des eaux usées et aqueducs, réseau routier : les demandes totalisent plusieurs millions. Or, cela ne peut en aucun temps justifier l’aplaventrisme ou la complaisance. Les élus ont le pouvoir légitime de défendre leur vision. Ils doivent avoir le courage de leurs convictions.

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