Un service essentiel

Les audiences du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) sur la définition des services essentiels du traversier en cas de grève, tenues aux Îles cette semaine, n’ont rien de banal. Une communauté tout entière se trouve entraînée dans un conflit de travail opposant un employeur privé, opérant un service public de traversier on ne peut plus essentiel, et des travailleurs défendant à juste titre leur droit à la libre négociation, ce qui inclut le droit de grève.

À l’évidence, le traversier vers Souris constitue un service essentiel à l’activité socio-économique quotidienne dans l’archipel comme les routes, les autoroutes et les aéroports de toutes les communautés du pays. Comme le sont devenus aussi les réseaux de communications et de télécommunications d’un océan à l’autre. Le service régulier de traversier garantit un approvisionnement continu en denrées alimentaires et en de multiples biens de première nécessité, il est la pierre angulaire du tourisme et de l’économie des pêches. En définitive, le traversier assure la libre circulation des biens et des personnes, il est notre cordon ombilical, notre autoroute vers le continent.

Les Madelinots seront généralement portés à clamer haut et fort que les services actuels représentent le minimum viable pour l’archipel. Affirmer le contraire serait ouvrir la porte à une réduction de service que le gouvernement fédéral aurait tôt fait de mettre en œuvre pour en réduire les coûts. L’amélioration du service de traversier depuis 45 ans, incluant l’obtention du service hivernal en 2009, découle d’ailleurs d’une bataille historique et perpétuelle des Madelinots pour réduire les effets néfastes de l’insularité et d’éviter d’être traités comme des citoyens de seconde zone.

Le débat est néanmoins pernicieux puisqu’il nous force à reconnaître que ce qui est souhaitable, adéquat et important en temps normal n’est peut-être pas pour autant essentiel en situation de conflit. Les ajustements d’horaire saisonniers du service, ou ponctuels en cas de tempête, démontrent qu’il y a une marge de manœuvre. Faut-il rappeler que le service hivernal n’existait pas avant 2009 ? Les traverses estivales varient d’ailleurs en fonction de la demande, on est passé de six à cinq liaisons par semaine en avril, l’an dernier, etc.

On a donc ouvert une boîte de Pandore et se sont les Madelinots qui risquent d’en payer le prix. Car le débat sur la définition du niveau de service essentiel est en lui-même dommageable pour la communauté, qui doit encore défendre ses acquis plutôt que voir aux moyens d’améliorer son sort. Sans mettre le blâme sur l’une ou l’autre des parties, on peut affirmer que les relations de travail tumultueuses qui règnent entre la CTMA et ses officiers engendrent un climat d’incertitude qui ne peut que nuire au développement des Îles.

De plus, le bras de fer que se livrent la CTMA et le syndicat des officiers révèle non pas une volonté de signer un contrat de travail, échu depuis un an, mais au contraire l’objectif de faire plier la partie adverse. Pour l’entreprise, défendre le maintien intégral du service en cas d’un arrêt de travail correspond à vouloir «casser le syndicat», en lui retirant littéralement le droit de grève. Pas sûr que le public en ressorte gagnant. À cet égard, il ne faut d’ailleurs pas confondre l’intérêt de la CTMA, opérateur du traversier, mais aussi d’un service de croisières, propriétaire d’une dizaine de filiales et qui embauche 500 employés, avec celui de la communauté.

D’autre part, la vingtaine d’officiers syndiqués savent très bien que la moindre réduction du service de traversier entraînerait des perturbations importantes dans toutes les sphères d’activités aux îles, particulièrement en été, un moyen de pression extraordinaire sur l’employeur, prenant en otage la communauté des Îles et son économie tout entière.

Qu’importe la décision de la CCRI, il faut espérer que les deux parties se mettront à table pour négocier rapidement un règlement. Quant à la tenue d’audiences publiques sur les services du traversier, souhaitons qu’elles portent la prochaine fois sur les préoccupations des usagers : la structure tarifaire, les modalités de réservation, l’horaire des traversées et les moyens d’améliorer encore le service pour mieux répondre aux besoins des Madelinots.

premiere traverse hivernale-02

Laisser un commentaire