L’incertitude qui plane quant à la poursuite du projet de création d’une aire marine protégée autour des Îles-de-la-Madeleine a des airs de déjà vu. Malgré les difficultés notoires qu’ont les gouvernements fédéral et provincial à travailler conjointement sur un projet de la sorte, il serait pour le moins honteux de ne pas mener à terme l’étude de faisabilité entamée il y a trois ans.
Il s’agit du seul dossier concret où les deux paliers de gouvernement envisagent d’investir temps, argent frais et ressources aux Îles-de-la-Madeleine. En cette ère de coupes budgétaires et de réduction du rôle de l’État qui affligent les régions, comment pourrait-on passer à côté d’un projet où Ottawa et Québec joueraient enfin pleinement leur rôle en matière de soutien au développement durable de notre archipel.
Une dimension économique
Malgré son appellation à connotation essentiellement écologiste, une aire marine de protection comporte une dimension socio-économique fondamentale. Bien articulée, une aire marine de protection pourrait allier le développement des pêches durables et du tourisme à la nécessaire protection et à la mise en valeur de notre fragile territoire.
Les intervenants du secteur des pêches et de la mariculture, on le sait, ont émis des réserves sur la mise en place d’une aire marine de protection. Aux prises avec des règlements et des contraintes déjà nombreuses, les pêcheurs verraient d’un bien mauvais œil l’imposition de mesures de conservation additionnelles. C’est pourquoi le projet d’aire marine protégé doit être élaboré par et pour les utilisateurs des plans d’eau. Cette initiative peut et doit permettre d’apporter une valeur ajoutée aux pratiques actuelles de même qu’aux retombées économiques de l’exploitation des ressources halieutiques. Une aire marine de protection doit être conçue de sorte à améliorer le rendement des pêcheries et les revenus qui en découlent. Des projets porteurs ont été menés en France. Plus près de nous, on peut faire un parallèle avec les mesures de conservation du homard, décidées par les pêcheurs eux-mêmes, qui ont permis l’augmentation des captures tout en pérennisant la ressource. C’est l’évidence, l’aire marine protégée sera profitable aux pêcheries madeliniennes ou ne sera pas.
Une aire marine de protection, c’est aussi un label de qualité environnemental exceptionnel pour communauté insulaire et une destination touristique comme la nôtre. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à penser au Parc marin du Saguenay et à sa notoriété enviable. L’implication des gouvernements québécois et canadien pour faire la promotion d’une aire marine protégée serait un avantage dont les Îles pourraient tirer profit. Nous sommes l’une des rares régions au pays où les deux paliers de gouvernement reconnaissent à la fois le caractère unique, vulnérable et irremplaçable de son environnement sans pour autant y investir pour en assurer l’utilisation responsable, le protéger, l’interpréter et le mettre en valeur. Quand on y pense, il est absolument aberrant que ni Parcs Canada ni la SÉPAQ n’ait encore planté leur drapeau respectif sur nos Îles.
Par et pour les Madelinots
Cela dit, dans un projet de ce genre, les gouvernements devraient jouer un rôle de soutien aux forces vives du milieu, les mieux placées pour développer, promouvoir et veiller à leur territoire. Par exemple, des organismes comme l’Aquarium des Îles, le Musée de la mer et le Centre d’interprétation du loup-marin s’imposeraient comme des partenaires de premier plan dans la découverte et la mise en valeur de notre environnement maritime. De plus, une aire marine de protection trouverait logiquement sa contrepartie terrestre sous la forme d’un parc régional éclaté, sous administration locale mais avec un soutien actif de Parcs Canada et de la SÉPAQ.
Il aura fallu plus de sept ans à la Municipalité des Îles pour convaincre Québec d’adhérer au projet d’aire marine protégée initié par le fédéral en 2004. L’entente, annoncée en décembre 2011, devait permettre de documenter les caractéristiques écologiques, économiques, sociales et culturelles du territoire. Elle devait aussi identifier les enjeux de conservation, les territoires d’intérêt pour la conservation, les contraintes et les possibilités de mise en valeur liées à l’établissement d’une aire marine protégée. Les cinq études rendues publiques en début d’années concluent d’ailleurs au fort potentiel écologique, économique, social et culturel du projet.
Là où le bât blesse, c’est dans l’absence de communication autour de la démarche et de la non-inclusion du public aux échanges et délibérations. L’étude devait pourtant accorder une attention particulière aux points de vue, aux attentes et aux préoccupations de la population de l’archipel. Il s’agit du facteur de base pour susciter l’adhésion collective à un tel projet.
Question de volonté politique
Or, les études réalisées ces trois dernières années dans le cadre de l’aire marine protégée ont été mises en ligne dans la discrétion la plus totale. Il aura fallu l’intervention publique du Comité ZIP pour éveiller les esprits et nous apprendre que le dossier est au point mort depuis mars 2014 et révéler la publication des rapports.
Alors que le temps est venu de tracer les contours de ce que pourrait être une aire marine protégée aux Îles, on nous dit qu’un rapport synthèse est en voie d’élaboration et que les gouvernements fédéral et provincial devront convenir de la suite à donner au projet. Une question de volonté politique, nous dit-on. Le fédéral est-il toujours résolu à aller au bout du processus ? Qu’en pense le ministre de l’Environnement du Québec, David Heurtel, qui n’a toujours pas daigné venir aux Îles faire le point sur divers dossiers environnementaux malgré les demandes pressantes depuis mai dernier. Où loge le député provincial dans ce dossier ?
Pendant des années, le litige fédéral-provincial sur la propriété des fonds marins en cas d’exploitation pétrolière a pollué le dossier de l’aire marine protégée. Le dépôt imminent d’une loi-miroir sur l’exploitation des hydrocarbures dans le golfe Saint-Laurent serait-il lié à l’attentisme gouvernemental ? Il a fallu sept ans pour qu’on décide d’enclencher la première étape de l’étude de faisabilité. Vivement que l’on entame l’étape finale, en incluant véritablement la population qui décidera, ultimement, du sort du projet d’une aire marine protégée.
