Alors que la grogne se fait entendre depuis des semaines un peu partout en régions, peu de voix se sont élevées aux Îles pour se prononcer sur les mesures d’austérité gouvernementales. La préparation d’un mémoire sur l’impact local des décisions gouvernementales, évoquée la semaine dernière par le maire Lapierre, est donc nécessaire et bienvenue, pourvu que ce soit enfin le conseil municipal qui parle au nom des Madelinots.
Depuis que le train de mesures gouvernementales frappe de plein fouet les régions, le maire et son conseil municipal ont d’ailleurs été plutôt ambivalents dans leur appréciation de la situation, traduisant un malaise à nommer les choses et clarifier les faits. Au sortir d’une rencontre avec des partenaires socio-économiques, la semaine dernière, le maire des Îles a finalement admis qu’ils ne sont «pas tout à fait d’accord avec la façon dont ça se passe». C’est un premier pas. Or, l’idée de laisser au Forum des partenaires du projet de territoire Horizon 2025 le soin de produire un mémoire au nom de la collectivité des Îles est non seulement malvenue, mais elle provoquerait un grave déficit démocratique.
Il n’y a pas de doute sur la volonté sincère des membres du Forum des partenaires de contribuer à faire la lumière sur les impacts des mesures d’austérité du gouvernement Couillard et développer une approche commune. Mais il ne faut pas inverser les rôles. Les partenaires de développement peuvent certes alimenter la réflexion de la municipalité, mais en définitive, il appartient aux élus locaux de se positionner et de porter le message politique de la communauté auprès du gouvernement. C’est une question de leadership, de crédibilité et de responsabilité politique.
Le Forum des partenaires a été mis sur pied comme une «plateforme d’échange et de réflexion» sur les orientations du projet de territoire Horizon 2025, devant se réunir une fois par année. Ce groupe de représentants socio-économiques ne possède aucune assise légale et n’a jamais été constitué de façon formelle par le conseil d’agglomération contrairement aux diverses tables de concertation et commissions municipales. Ses mandats et responsabilités ne sont pas définis, non plus que la liste des organismes qui y siègent, lesquels ne sont d’ailleurs pas connus de la population. En clair, l’agglomération n’ayant pas officialisé le cadre d’existence du Forum, l’instance n’a aucune légitimité pour s’adresser au gouvernement au nom des Madelinots.
Cela dit, les diverses commissions municipales qui traitent par exemple de transport, des enjeux énergétiques ou des matières résiduelles ont un rôle strictement consultatif. Elles peuvent émettre des avis et recommandations, mais il appartient aux élus de prendre les orientations et décisions et d’en assumer la responsabilité en leur qualité de décideurs imputables.
Selon le maire Lapierre, à la faveur de la disparition de la CRÉ, l’agglomération envisage de transformer le Forum des partenaires en une véritable instance de gouvernance locale, pouvant «définir et orienter nos interventions». Pour séduisante que la proposition puisse paraître, cela est pour le moins difficile à concevoir autrement que dans la perspective d’une commission consultative. La CRÉ était une instance régionale reconnue par la loi et dûment incorporée, dotée de règlements généraux, d’un conseil d’administration autonome, d’un important budget et d’une équipe de professionnels. Aucune comparaison possible avec le Forum des partenaires Horizon 2025. D’ailleurs, suite aux récentes décisions du gouvernement, c’est plus que jamais aux MRC qu’échoit la responsabilité du développement local.
Il serait pour le moins cocasse de voir les élus municipaux déléguer ne serait-ce qu’une partie de leurs pouvoirs à une instance non élue, alors que le ministre des Affaires municipales, Pierre Moreau, clame sur tous les toits que sa décision d’abolir les «structures» vise à donner plus de pouvoirs aux élus municipaux parce qu’ils sont imputables. Ce nouveau pouvoir est d’ailleurs l’un des rares aspects positifs que les maires et préfets du Québec ont pu identifier dans «l’entente sur la nouvelle gouvernance régionale».
C’est aussi parce qu’ils sont imputables et qu’ils représentent les citoyens du territoire que les élus doivent prendre position clairement sur l’impact des décisions gouvernementales. Ils peuvent applaudir les décisions ou les dénoncer, s’y opposer ou proposer des aménagements. Si le bien commun est en cause, ils peuvent critiquer, condamner, protester, s’indigner, s’insurger, plaider, demander, réclamer, exiger, décrier, souhaiter, demander, etc. Le vocabulaire est vaste, le choix du ton leur appartient, mais se taire n’est pas une option.
Faut-il le rappeler, un conseil municipal parle par voie de résolution. Par exemple, en septembre dernier, le conseil municipal a sommé Postes Canada de maintenir les heures d’ouverture dans ses bureaux de poste des Îles. Or, sur des sujets aussi lourds de conséquences que la gouvernance régionale, le pacte transitoire et les mesures d’austérité qui affectent le milieu, qu’a-t-il dit jusque-là ? Tout au plus le conseil d’agglomération a-t-il signifié son appui au maintien des services du Carrefour jeunesse emploi.
Il y a pourtant un grand nombre de mesures gouvernementales qui ébranlent notre archipel : abolition des CRÉ et des CLD, coupes aux municipalités, au CERMIM, au Campus des Îles, en culture, aux programmes Réno-Village et Accès-logis, aux fonds des municipalités dévitalisées, pertes d’effectifs dans la fonction publique, pertes d’effectifs et d’expertise en développement local et dans l’aide aux entreprises, etc. Qui ne dit mot consent.
S’il n’est «pas tout à fait d’accord», le conseil municipal a donc le devoir d’articuler un point de vue politique… sur les politiques et décisions gouvernementales qui affectent notre capacité à faire face collectivement aux défis socio-économiques de notre territoire. Il peut le faire à la pièce, résolution par résolution, ou consigner le tout dans un mémoire plus complet et exhaustif. À défaut de défendre l’intérêt des citoyens madelinots et d’affirmer une vision locale qui corresponde au caractère propre et spécifique de l’archipel, le gouvernement aura beau jeu de dire que personne ne s’est plaint, que l’appui à ses décisions était unanime.