Faire moins avec moins

Plusieurs observateurs ont qualifié le budget Leitao de terne, ce qui n’est guère surprenant, car l’atteinte de l’équilibre des finances publiques à tout prix est avant tout un exercice comptable. À défaut de présenter une vision pour le Québec et ses régions, l’énoncé budgétaire confirme la volonté du gouvernement de réduire la taille et de redéfinir le rôle de l’État. Pour l’archipel, l’idée de faire moins avec moins n’a rien de rassurant.

Le ministre des Finances se targue d’avoir déposé un budget équilibré, sans hausse de taxes ou de tarifs. En réalité, ce budget s’écrit à l’encre noire en raison des compressions budgétaires tous azimuts effectuées ces derniers mois. Dans tous les services publics, austérité rime avec morosité. Les hausses de taxes et de tarifs, elles ont été annoncées en cours d’année, comme la modulation des coûts des services de garde, la hausse des tarifs d’Hydro-Québec et la surprime d’assurance auto. Le gouvernement a par ailleurs sous-traité les taxes aux commissions scolaires et aux municipalités. Le reste de l’effort financier est imposé aux ministères et organismes, dont une part appréciable viendra de la masse salariale des employés de l’état.

On pense à tort que le resserrement des dépenses du gouvernement est passager, que les structures en développement régional abolies, par exemple, seront remplacées sous une forme ou une autre. Ce n’est pourtant pas ce que laisse entrevoir le budget. Ni même le gouvernement. Le président du Conseil du trésor, Martin Coiteux, à qui on peut attribuer une bonne part de la paternité du budget, ne s’en cache pas. Il veut en finir avec l’État-providence issu de la Révolution tranquille. Ce que promet d’ailleurs le gouvernement libéral, à terme, se résume à des baisses d’impôts.

La formule est connue et fortement inspirée du gouvernement conservateur fédéral. Resserrer les dépenses confine le gouvernement à être moins présent, moins interventionniste, à revoir sa mission. L’opération est déjà amorcée. S’il baisse ensuite les impôts ou les taxes, une fois l’équilibre budgétaire atteinte, il se prive forcément de moyens d’intervenir pour ne pas encourir de déficit.

C’est ainsi que le gouvernement annonce un allègement fiscal d’un demi-milliard pour les entreprises du Québec d’ici 5 ans. Il maintient certains crédits d’impôt dans l’innovation et en région, pour favoriser l’investissement privé et la création d’emploi. C’est sans doute aussi l’élément-clé de son approche en matière d’occupation du territoire. Si le gouvernement a fait disparaître les CRÉ, les CLD et la Politique nationale de la ruralité, c’est qu’il estime que la nature à horreur du vide, que le jeu de la concurrence fera son effet et que l’entrepreneuriat prendra la relève. Le Conseil du patronat, qui a récemment encouragé le gouvernement à subventionner l’exode rural, a chaudement applaudi l’approche du gouvernement.

La décision d’accorder un crédit d’impôt remboursable tout à fait exclusif aux entreprises récréotouristiques de l’archipel s’inscrit dans cette tendance. Cette mesure, dont les impacts sont estimés à 2 millions de dollars par année, doit en principe permettre d’insuffler de l’oxygène aux entreprises touristiques d’ici qui pourront ainsi investir, se développer et créer des emplois. Dans le contexte d’austérité actuelle, il faut reconnaître que les îles se voient ainsi accorder un traitement de faveur. Il appartiendra donc à l’entreprise privée de dynamiser l’économie et de prouver que l’approche fiscale en matière de développement régional fonctionne.

Autrement, le monde municipal et les régions n’ont guère trouvé à se réjouir dans le dernier budget. Ils n’y ont perçu aucun signal quant à un réinvestissement de l’État à court ou moyen terme. Après avoir convenu avec Québec d’un Pacte fiscal qui les prive de 300 M$ et de divers leviers de développement, les régions n’obtiennent pas le retour d’ascenseur anticipé. Alors que l’on sabre 66 M $ au budget du développement régional, Montréal obtient 8 M $ de plus cette année pour préparer les fêtes de son 375e anniversaire. Comme quoi le retour à l’équilibre budgétaire se fait sur le dos des régions, a commenté le maire de Gaspé et porte-parole de la coalition Touche pas à mes régions, Daniel Côté.

Le budget mentionne à plusieurs reprises la Stratégie maritime, dans laquelle le gouvernement dit vouloir investir 1,5 milliard $ en cinq ans. Or, cet argent viendra principalement des programmes réguliers, pour un investissement en argent frais de 170 M $ dont près de 13,8 M $ cette année. De ce montant, à peine plus de 3 M $ seront accessibles aux régions.

Aux Îles comme dans plusieurs régions, l’interventionnisme de l’État a souvent permis de pallier l’absence du privé pour cause de non-rentabilité. La débrouillardise et le mouvement coopératif ont fait le reste. C’était donc en partie le rôle de l’État que d’assurer l’équité de service à de faibles populations dispersées sur de vastes territoires éloignés. L’ère des politiques gouvernementales semble désormais révolue. Qu’advient-il des politiques d’occupation dynamique du territoire, de la ruralité, de développement économique, de développement social, de soutien aux municipalités dévitalisées, de lutte à la pauvreté?…

Quant aux grandes misions de l’État, la santé et l’éducation, les impacts du régime minceur se feront sentir partout, peut-être davantage dans les petits établissements des régions où la marge de manœuvre est nécessairement moindre. Dans le secteur de la santé, désormais sous le contrôle direct du ministre, les dirigeants se sont faits discrets. Pour leur part, les commissions scolaires et les cégeps ont immédiatement réagi au dépôt du budget en affirmant que les services aux élèves seraient inévitablement touchés.

Un peu comme lors du dépôt du dernier budget, c’est dans les mois qui suivent que la direction gouvernementale se précisera. Le dépôt du rapport Robillard, qui laisse entrevoir une réorganisation majeure de l’administration gouvernementale, se traduira par de nombreuses fusions, restructurations et abolitions d’organismes. À terme, on anticipe ainsi des économies de l’ordre de 400 millions. C’est n’est donc pas dans le budget lui-même, mais dans sa mise en œuvre que les citoyens y verront plus clair dans ce que le gouvernement entrevoit comme nouveau modèle québécois.

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