Lock-out et guerre d’usure

Le conflit de travail entre la CTMA et ses officiers s’est considérablement envenimé cette semaine avec l’imposition d’un lock-out par l’entreprise. Le bras de fer engagé depuis 14 mois se transforme en un conflit de travail sans précédent aux Îles, une guerre d’usure qui affectera pour de nombreuses années tant l’entreprise, les travailleurs que la communauté tout entière.

Le rôle prépondérant de la CTMA dans le transport maritime et routier aux Îles fait en sorte que les impacts de ce conflit de travail affectent déjà l’archipel, ne serait-ce que par le climat d’incertitude qu’il laisse planer sur le déroulement de la saison touristique et la reprise prochaine de la pêche. Dans le climat de morosité économique actuel, on ne pouvait trouver pire moment pour mettre à risque la capacité des Îles à accueillir les visiteurs, à se ravitailler, à exporter. En raison de la brutalité même d’une mesure comme l’imposition d’un lock-out, ce conflit de travail pourrait perdurer et devenir un symbole national pour le mouvement syndical.

L’enjeu déterminant, les fonds de retraite

C’est classique dans ce genre de conflit, chaque partie accuse l’autre de prendre la population en otage. Sans prendre parti, il faut admettre que dans la situation actuelle, c’est l’entreprise qui est en demande alors que les officiers sembleraient vouloir se satisfaire du statu quo, assorti d’une indexation salariale équivalente aux autres employés. L’entreprise souhaitait revoir les horaires de travail et les modalités d’assurances, de même que transformer le régime de retraite. Si les deux premiers éléments ont été concédés en médiation, le troisième apparaît maintenant comme l’enjeu déterminant pour l’employeur. Le problème vient du fait que cette clause apparaît tout aussi non négociable pour l’entreprise que pour les travailleurs.

CTMA souhaite remplacer le régime de retraite à prestations déterminées par un régime à cotisation déterminée. Pour l’employeur, le régime à prestations déterminées l’oblige à verser une rente de retraite préétablie à ses ex-employés, en dépit des déficits actuariels qu’il estime à plus d’un million $ pour ses 19 officiers. Cela met à risque la pérennité de l’entreprise, estime la direction de CTMA, ajoutant que l’entreprise est la seule dans le domaine maritime à offrir de telles conditions de retraite. Après avoir obtenu cette concession de la part du syndicat des marins, la CTMA invoque l’équité entre les divers groupes d’employés pour maintenir sa position.

Plusieurs entreprises privées cherchent d’ailleurs à convertir leur régime et tous les syndicats s’y opposent. En effet, du côté syndical, l’abandon du régime à prestations déterminées constitue un recul majeur. Alors que son revenu de retraite est aujourd’hui planifié et garanti, le passage à un régime à cotisation déterminée laisse l’employé à la merci des fluctuations des marchés boursiers. En somme, la cotisation est déterminée, mais le revenu de retraite ne l’est plus.

À titre comparatif, les centrales syndicales ont fortement protesté récemment contre la loi 3 qui impose un partage des cotisations de retraite à parts égales entre employés et employeurs du secteur public. Les pompiers et fonctionnaires de la ville de Montréal ont même saccagé l’hôtel de ville. Mais le principe des prestations déterminées n’a jamais été touché, imaginez le contraire…

Lock-out non traditionnel

De toute évidence, la direction de la CTMA n’a pas digéré l’humiliante défaite qu’elle a subie devant le Conseil canadien des relations industrielles. La CTMA avait fait parader l’ensemble des intervenants socio-économiques du territoire pour faire valoir auprès du CCRI que le service actuel était en réalité un service minimal et essentiel. En cherchant essentiellement à retirer le droit de grève à ses officiers, la CTMA s’est retrouvée coincée avec une décision qui confirme le droit de grève de ses travailleurs, leur conférant un net avantage stratégique.

Se retrouvant en position de faiblesse, CTMA a décidé de jouer le tout pour le tout afin de reprendre l’initiative. Dans un geste pour le moins inusité dans le secteur privé, la CTMA a d’abord transposé la négociation sur la place publique, visant clairement à discréditer la position de ses officiers, sinon les officiers eux-mêmes. En insinuant publiquement que leurs salaires sont déjà bien élevés et que les officiers ne sont pas plus importants que quiconque dans l’entreprise, la CTMA aura sans doute provoqué des blessures qui mettront du temps à cicatriser. Leur lock-out et le recours à des travailleurs de remplacement ne sont pas de nature à améliorer les choses.

Un lock-out pour le moins inhabituel où l’employeur incite néanmoins les travailleurs à rentrer au travail en acceptant les changements à leur régime de retraite. Cette tentative d’ébranler la solidité des convictions des membres du syndicat, de diviser les travailleurs en les invitant individuellement à se désolidariser de leurs collègues ne semble pas avoir porté fruit. CTMA affirme vouloir ainsi forcer le syndicat à revenir à la table des négociations, après leur avoir fait une offre finale. En définitive, on les invite à rendre les armes.

Boycottage de la CTMA ou des îles ?

Dans le monde syndical, rien n’est plus méprisable que l’imposition d’un lock-out. Au surplus, l’embauche de travailleurs de remplacement, de scabs, constitue le geste antisyndical le plus grave aux yeux des travailleurs. Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que le Syndicat des Métallos appuiera sans réserve les officiers lock-outés. Les fonds de secours de grève leur seront acheminés tant et aussi longtemps qu’il le faudra.

La bataille des officiers pour préserver leurs acquis pourrait prendre une dimension nationale puisqu’elle porte sur l’épineux enjeu des retraites, commun à l’ensemble du monde syndical. Ce n’est pas pour rien que le délégué syndical a annoncé la mise en œuvre d’une campagne de boycottage de CTMA à la grandeur du pays.

Or, on s’en doute bien, si un boycottage de la CTMA est effectivement lancé, une telle campagne pourrait avoir un effet tout aussi grave sur l’économie des Îles que sur l’entreprise elle-même. Car CTMA n’est pas une compagnie privée habituelle, oeuvrant dans un environnent compétitif et concurrentiel. L’entreprise occupe une position monopolistique dans la quasi-totalité des sphères où elle est présente, et cela dans de multiples secteurs névralgiques de l’économie des Îles. Si cela se concrétise, combien de visiteurs se détourneront de la destination et décideront de modifier leurs plans de vacances ?

Devant les risques de pourrissement du conflit, le gouvernement fédéral doit intervenir. Il appartient aux élus locaux de le lui demander formellement.

Capture d'écran 2015-01-30 20.39.52

Laisser un commentaire