Loi miroir : L’heure de vérité

En déposant le projet de loi 49, la semaine dernière, le gouvernement du Québec franchit un pas déterminant vers l’exploitation du pétrole en mer, au large de l’archipel. Cette loi miroir, que le fédéral adoptera aussi, établit le cadre légal qui régira les phases d’exploration et d’exploitation de l’or noir du site Old Harry. Une fois adoptées, ces lois lèveront de facto le moratoire sur les forages dans le golfe et constitueront un point de non-retour quant à l’accession du Québec au statut d’état pétrolier.

On peut applaudir la décision du gouvernement Couillard ou la dénoncer, mais on ne peut se surprendre de cette initiative qui découle directement de l’Accord fédéral-provincial sur la gestion conjointe des hydrocarbures de mars 2011. Le dépôt de ce projet de loi était imminent depuis l’adoption du plan de «mise en valeur» des hydrocarbures par Québec en mai 2014. On ne peut pas dire que Québec manque en cela de cohérence. Il manque toutefois du respect le plus élémentaire pour l’intelligence des citoyens en devançant à la fois la conclusion des consultations sur la future politique énergétique du Québec et celle de l’étude environnementale stratégique globale sur les hydrocarbures. On l’aura deviné, le gouvernement a déjà pris sa décision. Il ne s’agit plus pour lui de savoir s’il faut forer ou non dans le golfe Saint-Laurent, mais plutôt de trouver les aménagements nécessaires pour le faire en maximisant les retombées économiques tout en limitant les risques environnementaux… et la critique des citoyens et des groupes écologistes.

Tout le monde le fait…

Le ministre Pierre Arcand a cependant choisi le plus piètre argument possible pour défendre le projet loi lors de l’ouverture des discussions de la «Table d’experts» sur les hydrocarbures, lundi dernier. Afin de susciter un sentiment d’urgence, le ministre affirme qu’il faut agir rapidement car Terre-Neuve s’apprête à forer à Old Harry, le Québec assumant tous les risques sans en tirer les bénéfices. Cette rhétorique de mimétisme interprovincial est à la fois démagogique et infantile : tout le monde le fait, fais-le donc… Elle évacue surtout les questions concrètes et légitimes quant aux impacts économiques réels de la démarche, à la règlementation applicable, à la gestion et à la connaissance des écosystèmes, à la capacité d’intervention en cas de marée noire, au régime de compensation, à la compatibilité de l’industrie des pêches et du tourisme avec le pétrole et au degré d’acceptabilité sociale.

L’acceptabilité sociale faisant d’ailleurs défaut, selon l’EES II produite par Génivar, le gouvernement cherche ainsi à l’imposer sur la base d’un argumentaire de concurrence interprovinciale. Plutôt que de développer une approche globale, une démarche d’harmonisation interprovinciale de la gestion du golfe, on cherche à substituer la crainte d’un désastre environnemental par la crainte de voir la province voisine s’enrichir à nos dépens. Parallèlement, en limitant la prise de parole des citoyens à des consultations sur le web, le gouvernement imite la façon de faire du gouvernement Harper et s’assure à tout le moins de ne pas offrir de tribune à la contestation.

Risques et avantages

Ce qu’il y a de révélateur dans le discours du ministre Arcand, c’est la reconnaissance implicite que les forages comportent des risques. C’est parce que les forages en mer sont risqués qu’il faudrait rattraper Terre-Neuve, question d’en retirer aussi des bénéfices. Appliqué à l’échelle régionale, ce raisonnement devient particulièrement utile pour la communauté madelinienne. Ce sont les Madelinots qui assumeront tous les risques, et non pas la majorité des Québécois. À qui appartient-il alors de revendiquer les retombées? À qui appartient-il alors de décider de mettre son environnement à risque, ses industries, son mode de vie? Si une majorité de Québécois étaient favorables à l’exploration en mer, mais qu’au contraire une majorité de Madelinots s’y opposait, pourrait-on parler d’acceptabilité sociale?

Le gouvernement prépare néanmoins le terrain. Les documents explicatifs du projet de loi 49 font état des retombées économiques éventuelles de l’exploitation pétrolière en mer. On y fait miroiter la création d’emplois spécialisés et bien rémunérés dans les régions, notamment dans l’archipel. Ce discours fait écho à une lettre ouverte conjointe de la Fédération des chambres de commerce du Québec et au Conseil du Patronat (CPQ), publiée plus tôt cette semaine, qui ne voient que des avantages au développement d’un nouveau secteur industriel pétrolier au Québec. Faut-il rappeler que le CPQ proposait aussi de subventionner la fermeture des villages dévitalisés, l’hiver dernier…

Le moment de vérité

Dans le contexte actuel, les Madelinots n’ont que quelques mois pour faire entendre leur point de vue. Le ministre Pierre Arcand a certes évoqué l’idée de consultations à venir, mais il ne faut pas être dupes. Deux démarches consultatives sont déjà en cours, mais les décisions se prennent en amont de leurs conclusions. Une fois la loi 49 adoptée, ce sont les règles légales que les compagnies pétrolières devront respecter et les interventions politiques n’auront plus qu’un poids bien relatif. C’est donc sur le projet de loi en lui-même, sur la pertinence d’ouvrir le golfe à l’exploration et à l’exploitation pétrolières qu’il faut dès aujourd’hui se prononcer.

Les citoyens et les organisations en faveur du développement de la filière pétrolière ont déjà l’écoute du gouvernement. Pour les autres, il ne suffit plus de réclamer un moratoire ou de défendre le principe de précaution. L’heure de vérité a sonné. Citoyens et organisations, intervenants socioéconomiques et leaders politiques de l’archipel doivent maintenant se positionner clairement, sur le principe, en faveur ou non des forages au large des Îles. Qui ne dit mot consent. On aura bien le temps d’élaborer le détail des modalités et les mesures de mitigations une fois le cadre légal de l’exploitation pétrolière adopté.

Au lendemain de l’accord sur la gestion conjointe des hydrocarbures avec le fédéral, en 2011, la ministre des Ressources naturelles d’alors, Nathalie Normandeau, est venue aux Îles s’expliquer devant la Table des hydrocarbures – son interlocuteur privilégié – et les médias locaux. De leur côté, le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, et son collègue de l’Environnement, David Heurtel, font la sourde oreille aux demandes de rencontre des Madelinots depuis un an. Leurs interlocuteurs privilégiés sont ailleurs.Capture d'écran 2015-01-30 22.16.16

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