La Société nationale de l’Acadie a marqué deux jalons significatifs de son histoire et de la nôtre, la semaine dernière, lors de son assemblée générale annuelle tenue dans l’archipel. En 134 ans d’histoire, c’était la première fois que la SNA tenait son assemblée aux Îles-de-la-Madeleine. Pour marquer encore davantage l’évènement, la SNA a remis pour la première fois à un Madelinot, Georges Langford, la plus prestigieuse distinction du peuple acadien, la médaille Léger-Comeau.
À la veille des célébrations de la Saint-Jean-Baptiste, ce rendez-vous des représentants du peuple acadien aux Iles illustre bien la double appartenance culturelle et historique des Madelinots. Loin d’entrer en contradiction avec notre identité québécoise ou de susciter quelque conflit d’allégeance que ce soit, nos racines acadiennes colorent, enrichissent et singularisent la culture et l’identité madelinienne. Notre appartenance acadienne doit être une source de grande fierté, un fondement de solidarité avec la diaspora acadienne et une inspiration quant aux défis contemporains du peuple de l’Acadie insulaire que nous sommes. À cette fin, et pour éviter sa folklorisation, nous devons nourrir notre identité culturelle acadienne, la vivre davantage au jour le jour.
Une médaille largement méritée
Chantre exceptionnel de la vie et de la culture des Îles-de-la-Madeleine, personne ne pouvait mieux que Georges Langford mériter la médaille Léger-Comeau. Créée en 1985, cette prestigieuse marque de reconnaissance est remise annuellement à une personnalité qui s’est distinguée par son attachement ou ses actions envers l’Acadie et le peuple acadien. Pour l’ensemble de son œuvre, l’artiste madelinot côtoie désormais au panthéon des grands amis du peuple acadien des lauréats de prestige tels René Lévesque, Jacques Chirac, Antonine Maillet et Angèle Arsenault.
Depuis bientôt 50 ans, l’auteur-compositeur-interprète, écrivain et poète madelinot a su mieux que quiconque mettre en mots et en musique les accents, la culture et le quotidien des Madelinots. Fin observateur de la société madelinienne, de sa grandeur et parfois de ses travers, Georges Langford décrit avec justesse, poésie et humour la vie des insulaires. Comme Vigneault et Leclerc l’ont fait pour le Québec, Georges nous a forgé un répertoire inépuisable d’hymnes à l’amour des Îles-de-la-Madeleine. Les chansons du poète ponctuent les fêtes de famille et les fêtes populaires depuis des décennies. Elles accompagnent les nouveaux mariés dans leurs voeux de bonheur conjugal et réconfortent les familles endeuillées qui pleurent le dernier voyage d’un être cher. Les jeunes et les moins jeunes les connaissent par cœur, elles font le pont entre les générations.
Qu’il relate le voyage de Jacques-Cartier, celui de l’insulaire en exil ou la vie au rythme des saisons, Georges Langford a toujours su décrire dans son œuvre l’épopée, passée ou contemporaine, des Madelinots dans le continuum acadien. Formé au collège de Bathurst, Georges Langford a tissé à travers ses mots une bonne partie de la toile qui nous relie au reste de l’Acadie. Qu’il tienne à partage cet honneur avec l’ensemble des Madelinots démontre son humilité et sa clairvoyance. L’archipel et ses habitants ont été le terreau fertile de la création artistique du lauréat. En reconnaissant l’apport de Georges Langford au peuple acadien, la SNA reconnait implicitement la place du peuple insulaire dans l’Acadie.
L’Acadie, au jour le jour
La Société Nationale de l’Acadie regroupe quatre associations provinciales des provinces atlantiques et leurs correspondants jeunesse. Des associations de Louisiane, Miquelon, du Québec de l’Alberta, de même que la Corporation des Acadiens des Îles comptent au nombre des membres associés. La SNA a pour mission de promouvoir les intérêts du peuple acadien, particulièrement de l’Atlantique. C’est ainsi qu’elle représente et valorise l’Acadie sur toutes les tribunes, favorise la concertation et le réseautage et assure l’organisation du Congrès mondial acadien. Avec le passage de la SNA aux Îles, l’occasion est belle pour réfléchir à la contribution spécifique que les Madelinots peuvent apporter à l’organisation, à la façon dont nous cultivons notre identité acadienne, notre rapport à l’histoire de même qu’aux liens que nous entretenons avec la diaspora.
Nous devons pour cela mieux connaître notre histoire. À cet égard, les recherches de Chantal Naud, de Maxime Arseneau et de quelques autres sont indispensables. Tout comme le rôle du Musée de la mer et du Centre d’archives régionales des Îles, des institutions que nous devons continuer de soutenir et de fréquenter. Comme la fresque Mes îles, mon pays, qui favorise le rayonnement de notre culture. Il faut également saluer les initiatives citoyennes comme la commémoration cette année du 250e anniversaire de l’arrivée des premières familles à Havre-aux-Maisons, qui permettent de mieux comprendre notre passé, conjugué au présent.
L’archipel doit aussi maintenir et développer ses liens avec les autres communautés acadiennes. Par exemple, les échanges culturels avec la région Évangeline de l’Île-du-Prince-Édouard, ou à travers l’entente Acadie-Québec, souvent pilotés par Arrimage, enrichissent notre culture. Dans un autre registre, nous pouvons relancer et approfondir les liens socioéconomiques explorés il y a quelques années avec la péninsule acadienne du Nouveau-Brunswick. Il faut aussi maintenir les acquis. Qu’advient-il du jumelage entre les Îles et les Acadiens de Miquelon, dont le 30e anniversaire a été complètement passé sous silence l’an dernier?
Porte-étendard du drapeau acadien dans l’archipel, la Corporation des Acadiens des Îles ne bénéficie pas du soutien, du membership et du rayonnement qu’elle mérite malgré ses 25 années de loyaux services. Il est à espérer que les Madelinots trouvent, avec elle, les moyens de célébrer l’Acadie au jour le jour, et de prendre part à la grande conversation du peuple acadien. Souvenons-nous que le 28 juillet a été proclamé le jour de la commémoration du Grand Dérangement, suite à la reconnaissance par la gouverneure générale du Canada du drame humain que fut la déportation des Acadiens. Comment se fait-il que l’on retrouve une dizaine de monuments commémorant la déportation au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve, en Louisiane, à Miquelon et même à Bécancour, mais rien aux Îles-de-la-Madeleine? Ultimement, peut-on imaginer qu’avec les réflexions en cours à la SNA et la volonté de ramener l’évènement à une dimension plus humaine, l’archipel puisse être un jour l’hôte d’une partie des activités du Congrès mondial acadien?