Après 43 années à la barre, l’éditeur de l’hebdomadaire des Îles-de-la-Madeleine Le Radar, Monsieur Achille Hubert, tire sa révérence et passe le flambeau du journal qu’il a fondé, fait vivre et grandir et qu’il a littéralement incarné. Le legs de M. Hubert à la communauté madelinienne, qui s ‘étale sur plus de quatre décennies, est à la hauteur du personnage : incomparable!
Il est peu banal à notre époque moderne où le changement, la haute vitesse et le succès instantané font office de valeurs cardinales que l’on célèbre la constance et la longévité d’une véritable institution au service du public reposant principalement sur le courage, la passion, la conviction et le travail soutenu d’un seul homme. Avec humilité, M. Hubert dirait bien-sûr qu’un journal ne se bâti pas seul, encore faut-il savoir bien s’entourer pour mieux garder le cap.
Journaliste, éditorialiste, entrepreneur
Lorsqu’il publie son premier numéro en avril 1972, avec les moyens du bord, Achille Hubert trace un parallèle entre son journal et le radar d’un navire « un instrument qui permet au pilote de voir dans la nuit et de percer la brume». En ces temps de noirceur et de censure, le journal Le Radar cherchait à promouvoir la «libre parole» en faisant contrepoids au journal de propagande Le Madelinot qui régnait sur toute l’information locale. C’était aussi près d’une dizaine d’années avant l’avènement de la radio communautaire. Il fallait donc passablement de courage, de conviction et d’audace pour se lancer dans cette folle aventure. Il aura fallu davantage encore de détermination, de persévérance et d’abnégation de la part de l’éditeur pour poursuivre son oeuvre à travers les semaines, les mois et les années.
Opérer un journal, c’est d’abord gérer une entreprise, assurer sa rentabilité en trouvant le juste équilibre pour plaire aux annonceurs en quête d’un public et susciter l’intérêt du public en quête d’information. Pendant des années, M. Hubert aura réussi à concilier le rôle de directeur, d’éditeur et de journaliste, un défi en soi, tout en évitant le piège de la complaisance. Les faits, le savoir et la vérité auront sans doute été les principes de base de l’éditeur-journaliste. On ne mesure d’ailleurs pas toujours la responsabilité que comporte le travail du journaliste. C’est encore plus délicat dans un petit milieu où tout le monde se connaît, où la pression sociale peut être forte et la critique assassine. Il faut du cran pour tenir le coup et Achille Hubert en avait. Quand, au surplus, on se fait éditorialiste, analysant les enjeux, commentant l’actualité et appréciant le travail des gens qui la font, seul le courage, de l’assurance et une confiance en soi hors du commun permettent de perdurer.
Le Radar, une institution
Un vieux dicton dit que le journaliste est l’historien du quotidien. Ainsi, au fil des années, Achille Hubert a-t-il été à la fois un acteur et un témoin de l’actualité des Îles-de-la-Madeleine. Avec ses collaborateurs au journal, il a bâti un corpus d’informations incomparable sur un archipel en constante évolution depuis plus de 40 ans. À travers les dizaines de milliers d’articles et de photos (publiées ou non), c’est un regard à chaud sur toute l’histoire des Îles des 40 dernières années que la collection du Radar nous offre.
Si l’hebdomadaire demeure une référence en matière d’information, c’est qu’il a su lui-même s’adapter aux changements. Publier un journal chaque semaine en région n’est généralement pas chose facile, le faire sur un archipel isolé l’est encore moins. En dépit des aléas du transport maritime et aérien, du contexte économique parfois difficile, des transformations sociales, des bouleversements technologiques, Achille Hubert et le Radar ont toujours su s’ajuster pour répondre, à chaque semaine, au besoin d’information de la population. En ce sens, M. Hubert a toujours été en phase avec son milieu et son époque.
L’information, le savoir, la connaissance, la diffusion de la culture sont des éléments essentiels à la santé démocratique et à l’avancement d’un État, d’une société, d’une communauté. Le Radar a ainsi puissamment contribué, et contribue encore, à l’évolution de notre archipel. Le Radar est l’un des rares journaux indépendants qui ait résisté aux prises de contrôle des grands empires de presse, sans que ses lecteurs en fassent les frais, bien au contraire. Je me souviens de l’époque où la plupart des journaux régionaux ont fait le virage vers la distribution gratuite au porte à porte. M. Hubert m’avait confié avec assurance que l’information avait trop de valeur à ses yeux pour qu’il s’abaisse à l’offrir gratuitement, parmi les circulaires de vente des magasins…
Place aux jeunes
Si le Radar a si bien traversé les époques, c’est aussi parce que Achille Hubert n’a jamais hésité à faire confiance et ouvrir toute grande la porte à la relève. Nombre de jeunes journalistes des Îles et d’ailleurs ont fait leurs classes au journal Le Radar. À titre d’exemple, sur le plan personnel, il y a plus de trente ans, M. Hubert m’a à la fois accordé un soutien financier et ouvert ses pages afin que j’y publie mes aventures en Amérique du Sud sous l’égide de Jeunesse Canada Monde. Toujours ouvert à l’apport des jeunes, 25 ans plus tard, il publia volontiers les articles de mon fils, qui avait remporté un concours d’apprenti-journaliste pour couvrir les Jeux Olympiques d’hiver de Vancouver. En passant le flambeau à l’excellent graphiste du Radar, Hugo Miousse, M. Hubert fait encore aujourd’hui preuve de confiance en l’avenir des jeunes et de notre communauté.
L’espace me manque ici pour élaborer encore sur l’homme de culture, amant de la langue française, érudit, profondément attaché au Îles et soucieux du bien-être des Madelinots qu’est l’éditeur sortant du Radar. Avec respect, Monsieur Hubert, je me sens privilégié de pouvoir vous offrir dans les pages du Radar, mes meilleurs voeux de santé et de longévité pour une retraite bien méritée.