Cachez ces poteaux que je ne saurais voir…

Alors même que les derniers poteaux d’électricité disparaissaient enfin du site historique de la Grave, ces derniers mois, une série de poteaux était installée dans le secteur encore vierge du chemin du Montants, le défigurant pour de bon. L’ironie du sort est navrante. Comme si on avait décidé d’appliquer le principe de recyclage aux poteaux d’Hydro-Québec. De corridor panoramique, le chemin des Montants devient un corridor de poteaux électriques.
Malgré les resserrements de la règlementation municipale des dernières années, malgré les consultations et les pétitions, malgré le tourisme, malgré l’éventuel projet paysage, malgré la vertu pour laquelle nous somme tous, le mal est fait. Ce n’est pas un, deux ou trois poteaux de plus qui travestissent désormais le secteur, mais pas moins de 15 poteaux qui ont été plantés l’automne dernier par Hydro-Québec. Quelques-uns des poteaux sont posés à même le bord du chemin, déjà étroit. Le patrimoine naturel en prend pour son rhume. Et cela pour desservir un seul client. Un seul? Pas tout à fait. Plusieurs propriétaires auraient contribué au financement du prolongement de réseau dans le but évident de s’y construire. Une demi-douzaine de poteaux supplémentaires seront d’ailleurs plantés bientôt, s’il faut en croire les bornes de repérage installées ces derniers jours.
Interdire la construction ?
La spéculation et le développement immobilier dans les secteurs agricoles et forestiers ont été la source de vifs débats depuis une quinzaine d’années aux îles. Au terme de nombreuses consultations entourant l’adoption du schéma d’aménagement et les règlements de zonage, une approche de compromis a été retenue afin de trouver un certain équilibre entre le droit de propriété individuel et l’intérêt collectif. La construction d’habitation en zone agricole et forestière est interdite en principe, mais permise à certaines conditions. Le règlement sur les usages conditionnels balise donc les demandes de construction en zones non desservies, protégeant notamment la crête des buttes et interdisant les maisons surdimensionnées. Un projet de construction a d’ailleurs été refusé deux fois plutôt qu’une dans le secteur des Montants, justement, parce qu’il ne s’intégrait pas adéquatement au milieu naturel. Le règlement garantit surtout que chaque projet de construction fait l’objet d’une appréciation qualitative par le comité d’urbanisme et que le public soit informé et consulté. Et le raccordement électrique des habitations se fait par voie souterraine, à partir du réseau principal.
Éviter le saccage
Selon les règles en vigueur, Hydro-Québec ne peut refuser de desservir un client qui demande le service, pourvu qu’il assume les coûts de prolongement du réseau principal. Dans le cas du chemin des Montants, la société d’État s’est donc tournée vers la municipalité afin d’obtenir l’autorisation de procéder. De son côté, ne pouvant aller à l’encontre des lois qui régissent la Société d’État, ni imposer l’enfouissement du réseau principal, la municipalité a donc donné son feu vert au projet.
Un tel saccage aurait-il pu être évité? Peut-être pas. Cela aurait-il pu être discuté? Bien entendu. La question n’est pas ici de chercher les coupables, mais de trouver des moyens d’améliorer le processus décisionnel et la responsabilisation citoyenne. Il est toujours décevant de constater les dommages a posteriori, de voir, impuissant, et sans trop comprendre, une partie de notre patrimoine disparaitre ou se dégrader par l’action de l’homme.
Il y a fort à parier que les villégiateurs du chemin des Montants, comme dans les autres secteurs panoramiques, ne cherchent pas davantage que les Madelinots à saccager leur environnement. N’aurions-nous pas pu obtenir de l’information au préalable, des simulations visuelles comme on en fait pour les projets de construction. Aurions-nous pu dégager un espace de discussion? N’y avait-il pas d’autres solutions à envisager? Combien aurait couté l’enfouissement du réseau principal dans ce secteur? Une contribution supplémentaire des propriétaires riverains était-elle possible? Pouvait-on solliciter la collaboration financière des gouvernements ou de mécènes? L’idée d’un fonds pour la préservation du patrimoine naturel est-elle réaliste? Ultimement, une démarche active d’acquisition des terres est elle encore envisageable?
Et l’avenir
La prolifération des poteaux et des fils électriques dans le paysage madelinot ne date pas d’hier. Sans compter qu’à plusieurs endroits, des lignes électriques se trouvent de part et d’autre de la route. Malgré les demandes insistantes auprès d’Hydro-Québec, la construction du pont de Havre-aux-Maisons n’a pas permis de revoir le tracé des lignes électriques ou de réduire le nombre de fils et de poteaux, alors que le projet d’enfouissement de la ligne 69kv a été remis aux calendes grecques.
Une majorité de Madelinots semble accepter l’idée que des maisons colorées, à l’architecture traditionnelle, s’installent harmonieusement dans les paysages autrefois inhabités. Qu’en est-il de la constellation de poteaux et de fils? Avec les développements en cours dans le chemin des Montants, il ne reste plus guère que le chemin de la Montagne à préserver. Il est à souhaiter qu’on s’y arrête avant qu’il ne soit trop tard.IMG_5261

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