Fin de lock-out

Le retour au travail des officiers de la CTMA, après 14 semaines de lock-out, marque la fin de l’un des plus durs conflits de travail de l’histoire des Îles. Si les effets du lock-out ont eu peu d’influence sur le service de traversier, au soulagement de plusieurs, la victoire sans concession de l’employeur illustre un net recul du droit à la négociation dont les travailleurs syndiqués d’ici et d’ailleurs devront prendre bonne note.
De guerre lasse, les officiers de la CTMA ont donc rendu les armes et accepté les recommandations du conciliateur fédéral nommé au dossier. Le règlement correspond aux objectifs de la CTMA et confirme la reddition complète des travailleurs sur l’enjeu-clé du régime de retraite. Le refus de la partie syndicale de commenter le règlement démontre bien l’amertume dans lequel s’effectue le retour au travail.
Rapport de force
Il faut dire que les officiers syndiqués n’avaient plus aucun rapport de force dans ce conflit de travail face à leur employeur. Mis en lock-out par la CTMA, les officiers étaient tenus d’assurer le service de traversier trois jours par semaine tandis que des travailleurs de remplacement, des «scabs», complétaient leur semaine de travail. Dans de telles conditions, la pression pour régler le conflit se retrouvait entièrement sur les épaules des officiers en perte de salaire, tandis que l’employeur poursuivait ses opérations comme si de rien n’était. Au surplus, la conviction et la solidarité des officiers ont été mises à rude épreuve par le départ de plusieurs de leurs 19 membres. Si certains ont choisi de quitter les Îles pour aller naviguer dans un climat de travail moins tumultueux, c’est sans doute la défection hautement médiatisée d’un des leurs pour joindre les rangs des travailleurs de remplacement qui aura été le plus dommageable pour le moral des troupes.
Ajoutons à cela le fait que, une fois le service de traversier confirmé, ce conflit de travail se soit déroulé dans une indifférence généralisée. Sachant que le lock-out est le geste antisyndical le plus grave du point de vue des organisations de travailleurs, on aurait pu s’attendre à ce qu’une certaine solidarité intersyndicale s’exprime en appui aux officiers. Sans compter que les fonds de retraite sont un enjeu commun à toutes les négociations syndicales actuelles. Or, mis à part un communiqué émis par la CSN, les lock-outés n’ont obtenu aucun appui public tangible de la part des centaines de travailleurs syndiqués madelinots, de leaders d’opinion ou de personnalités publiques, de quoi conforter la CTMA dans son approche. Ce chacun pour soi syndical n’augure rien de bon pour les travailleurs, que ce soit dans les négociations au secteur public, au municipal ou ailleurs dans l’entreprise privée où la partie patronale réclame partout compromis et concessions.
L’opinion publique
Sans rapport de force, sans appui significatif du monde syndical, seule la sympathie de l’opinion publique aurait pu apporter un peu de carburant aux officiers, voire même exercer un peu de pression sur la CTMA. Victimes d’un lock-out sans même avoir en poche un mandat de grève, cherchant simplement à maintenir leurs acquis, les officiers se sont néanmoins retrouvés immédiatement sur la défensive quand leur porte-parole a évoqué la possibilité d’un boycott national de la CTMA. Difficile de trouver un meilleur moyen de se tirer dans le pied!
La CTMA n’en espérait pas tant. C’est ainsi que le spectre d’un boycott de la CTMA a été habilement transposé en un boycott de la destination Îles-de-la-Madeleine mettant en péril l’économie touristique de l’archipel. Le conflit de travail et ses enjeux ont ainsi été occultés pendant plusieurs semaines par la menace de graves perturbations économiques dont les officiers devenaient responsables, malgré leurs assurances qu’il n’en était rien et leur désaveu de la malheureuse déclaration de leur porte-parole.
À cet égard, la CTMA a su au contraire se positionner comme le défenseur du service public de traversier, mis en péril par ses propres officiers. La Chambre de commerce et Tourisme Îles-de-la-Madeleine se sont rangés derrière l’entreprise et fait publiquement la leçon aux syndiqués, désormais confinés au rôle d’empêcheurs de tourner en rond. Pour la CTMA, la bataille de l’opinion publique était gagnée, celle du retour au travail n’était plus qu’une question de temps…
De quoi se réjouir?
La CTMA a donc remporté son pari de se débarrasser du régime de retraite à prestations déterminées de ses employés et en même temps de son déficit actuariel. Le syndicat des marins y avait consenti, l’entreprise n’allait pas lésiner sur les moyens pour faire céder à leur tour les officiers. Dans cette bataille sans merci contre ses employés, on peut néanmoins se demander si le transporteur n’a pas péché par excès.
Les employés ont d’abord été décrits comme des privilégiés du système, on les a dépeints comme intransigeants, prêts à prendre toute l’économie des Îles en otage pour obtenir gain de cause. Après avoir tenté sans succès de les priver de leur droit de grève, la CTMA les a mis en lock-out, tout en les appelant à briser rangs syndicaux. L’imposant dispositif de sécurité mis en place avait des allures de mise en scène antiterroriste.
L’employeur a poussé l’audace jusqu’à répéter maintes fois qu’il s’agissait d’une grève, semant la confusion chez certains médias et au sein de la population jusqu’à la toute fin du conflit. Alors qu’on rapporte une pénurie de personnel navigant dans l’industrie, la CTMA a donné l’impression que ses officiers ne sont que des rouages interchangeables et, somme toute négligeables, dans ses opérations.
Démoralisés et humiliés, les officiers ne commentent pas leur retour travail. Les blessures sont béantes, un long travail de cicatrisation débute.Capture d'écran 2015-08-12 07.37.58

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