L’austère été

De passage aux Îles la semaine dernière, la ministre de la Culture, Hélène David, a fait l’annonce d’une aide financière au Vieux Treuil pour l’achat de matériel d’éclairage et de captation vidéonumérique. Si la mise à niveau des équipements est certes la bienvenue, l’incertitude quant à la programmation à venir de spectacles professionnels en région demeure et Québec doit y mettre fin au plus tôt.
C’est que le programme de soutien à la tournée des artistes au Québec n’a pas été reconduit officiellement depuis deux ans. Cette aide financière offerte aux producteurs d’artistes eux-mêmes prévoit le remboursement intégral des frais de déplacement des artistes et de leurs équipes aux Îles. Cela permet aux diffuseurs de spectacles tels Au Vieux Treuil et les Pas perdus d’offrir une programmation diversifiée, de qualité et accessible.
Or, dans la foulée des compressions à la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC), personne ne sait si le soutien à la tournée sera versé pour l’année 2015. Pour les deux principaux diffuseurs locaux, cela représente un casse-tête incroyable pour négocier la venue aux Îles d’artistes et musiciens. Au lancement des programmations respectives des Pas perdus et du Vieux-Treuil, fin mai, début juin, on parlait d’une programmation d’été culturelle d’austérité. Un austère été, quoi ! Non pas que la programmation soit de moindre qualité en 2015, mais parce que les deux diffuseurs ont dû rivaliser d’imagination, de détermination, voire de témérité, pour assurer le maintien d’une offre culturelle de qualité pour les Madelinots et les visiteurs.
Notoriété à la rescousse
Aux Pas Perdus, la programmation a été sujette à changements jusque dans les dernières heures avant son annonce. Au Vieux Treuil, on a dû prévoir une banque d’artistes deux fois plus grande qu’à l’accoutumée pour chacune des cases de calendrier afin de garantir la programmation. Pour les agents d’artistes, ne pas savoir si les frais de déplacements seront remboursés pour un spectacle aux Îles constitue un frein majeur. Cela fait bien évidemment toute la différence entre un spectacle rentable ou déficitaire. Certains acceptent encore le risque et parient que la SODEC finira par les soutenir rétroactivement, alors que d’autres ont déjà mis un X sur l’archipel.
Les Îles-de-la-Madeleine et ses deux principaux diffuseurs locaux bénéficient heureusement d’une notoriété et d’une réputation enviables. À telle enseigne que ce sont souvent les artistes eux-mêmes qui pressent leurs producteurs d’accepter le risque d’inscrire l’archipel à leur tournée. Cela permet encore cette année de sauver les meubles, mais il ne faudrait pas étirer l’élastique jusqu’à son point de rupture. Les conséquences seraient alors fâcheuses pour les Madelinots comme pour l’industrie touristique.
Depuis plusieurs années, la programmation culturelle des Îles n’a rien à envier à celle de la majorité des villes et villages du Québec. Pour la population locale, cela signifie un accès équitable aux productions de la scène musicale, en particulier, ce qui n’est pas peu dire pour un archipel situé à 1200 km de la métropole. La richesse de la programmation culturelle estivale constitue par ailleurs un pouvoir d’attraction appréciable pour les Îles en tant que destination touristique. Aux Îles, c’est maintenant bien connu, la vie culturelle estivale vit une effervescence sans pareille. La complémentarité des spectacles mettant en vedette les artistes locaux et ceux qui présentent les grands noms de la scène musicale québécoise permet d’offrir une programmation unique, originale et attrayante.
Les coûts de l’incertitude
Face à l’incertitude du financement des tournées, on peut se demander combien de temps encore les agents d’artistes continueront d’accepter de négocier des ententes avec les diffuseurs madelinots. Dans certains cas, on offre aux artistes un hébergement de plus longue durée, afin de faire coïncider un spectacle avec une pause estivale. D’autres acceptent de puiser dans leur réserve de points Aéroplan ou Air Miles, c’est dire ! Autre solution originale où l’austérité est la mère de l’invention, le Vieux Treuil a entrepris la programmation de deux spectacles par soir pour un même artiste, question de lui assurer un minimum de cachet. Forcément, cela ne durera qu’un temps.
Il est plus que temps que la révision du programme de soutien à la tournée aboutisse, et prenne en compte la situation d’insularité exceptionnelle de l’archipel. D’autant que ces mesures palliatives imaginées par les diffuseurs entraînent pour eux des coûts supplémentaires qui risquent de mettre en péril leur rentabilité.
La programmation des deux principaux diffuseurs n’est bien sûr pas la seule composante de l’été culturel madelinot, qu’on pense aux divers festivals, à la programmation des restos et bars, à la programmation en arts visuels, en métiers d’arts, ou en théâtre. Elle n’en demeure pas moins essentielle dans ce qu’elle propose comme spectacles de genres musicaux variés, d’artistes de renom ou de la relève, d’ici et d’ailleurs, etc.
L’économie culturelle
L’absence actuelle de ligne directrice en matière de soutien gouvernemental à la culture en région est d’autant plus déplorable que la contribution des arts et de la culture à l’économie régionale est majeure pour une destination touristique comme les Îles. L’abolition des Conférences régionales des élus et des CLD, deux partenaires du secteur culturel, était déjà lourde de conséquences. L’annonce de compressions à la SODEC et au Conseil des Arts et de la culture (CALCQ) en début d’été n’a rien fait pour rassurer les artisans du monde culturel. Bien sûr, le gouvernement se fait fort de maintenir le financement des petits organismes régionaux, mais les coupes imposées à leurs partenaires et bailleurs de fonds nationaux, jusqu’à 12% au Réseau des organisateurs de spectacles, les affecteront inéluctablement.
Pendant ce temps, Au Vieux Treuil n’a toujours pas obtenu sa reconnaissance en tant que diffuseur majeur, réclamée depuis au moins 5 ans, et le financement conséquent à ses opérations. Ainsi, l’annonce d’un investissement en matière d’équipements de pointe ne saurait être satisfaisante sans les assurances d’un soutien approprié aux opérations et à la tournée. Sinon, cela risque d’être un peu comme de fournir une tablette d’ordinateur Wi-Fi au résidant d’un village où internet n’est pas disponible. L’accès à la culture pour les Madelinots doit être confirmé au plus tôt, c’est une question d’équité et de développement économique.2015-08-04 23.31.41

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