Les Madelinots prisonniers des Îles! La nouvelle de Radio-Canada a fait mouche et entrainé la déferlante cette semaine sur les réseaux sociaux. Au-delà du sensationnalisme de la manchette et du problème pour les gens des Îles d’obtenir une place sur le traversier sans réservation, la réaction épidermique observée révèle un malaise réel et plus profond : les Madelinots n’ont pas voix au chapitre en regard du transport maritime.
La nouvelle raconte l’histoire d’un camionneur, Dany Gaudet, qui peine à regagner son domicile dans l’archipel pour y passer ses congés souvent imprévisibles et revoir sa famille en raison de l’achalandage touristique et du système de réservation qui exige une planification à long terme de ses déplacements. Disant avoir épuisé tous ses recours, il emprunte avec un courage certain la voix des médias pour réclamer des aménagements spécifiques pour les résidents locaux. À l’évidence, plusieurs se sont reconnus dans son histoire. Il se dégage toutefois des divers commentaires exprimés et de l’éventail des récriminations qui s’ajoutent à la problématique de départ une constante, les usagers souhaitent ardemment partager leur point de vue, exprimer leurs besoins, suggérer des améliorations et être consultés sur le service public de transport maritime fédéral auquel ils ont droit. Cette requête, bien qu’encore diffuse, ne pourrait être plus légitime.
Notre mot à dire
La dernière consultation publique sur la question du transport maritime, et vraisemblablement la seule de l’histoire, remonte à septembre 2007 lors de l’étude socio-économique sur l’opportunité d’établir un lien hivernal. La demande pour la mise en place d’un mécanisme permanent de consultation annuel avait alors émergé et a été relayé par la municipalité aux instances fédérales. Cette demande est demeurée lettre morte.
Nul besoin ici d’exprimer à quel point le service de traversier est vital pour la communauté. Pour les citoyens, les modalités du service, sa fréquence, la sécurité, les tarifs, les modifications d’horaire saisonnières et le système de réservation sont des éléments qui ont une influence profonde sur la qualité de vie, la planification des congés, le budget familial, les relations familiales et d’affaires, etc. La vie insulaire comporte certes des contraintes, mais l’absence d’un lieu, d’un rendez-vous, d’un forum pour en discuter de façon constructive est une grave lacune. La prise en compte des besoins et des attentes de la clientèle est le BA BA de l’approche client de nos jours. La responsabilité d’informer et de consulter est encore plus grande quand il s’agit d’un service gouvernemental essentiel financé à même les fonds publics.
La Politique maritime nationale de Transports Canada reconnaît le caractère essentiel du service et la responsabilité du ministère de désenclaver les communautés isolées. En plus de viser la prestation d’un service efficace, sûr et abordable, le ministère reconnaît l’importance d’assurer une meilleure qualité de vie aux communautés et de soutenir leur prospérité économique. Le meilleur moyen d’y arriver n’est-il pas de se mettre à l’écoute de ces communautés ? Transports Canada pourrait minimalement s’inspirer des pratiques de la Société des traversiers du Québec qui tient une rencontre annuelle avec un comité d’usagers pour chacune de ses dessertes. En y greffant une période de participation du public, la formule de participation permettrait à la fois aux citoyens de s’exprimer, mais également au gouvernement fédéral et à l’opérateur – CTMA – de mieux expliquer leurs rôles respectifs, leurs contraintes et leurs décisions. Autrement, il est évident que l’accès au ministre ou aux fonctionnaires fédéraux est interdit aux Madelinots. Quant à la CTMA, il s’agit bien sûr d’une coopérative, au sens légal, mais ne devient pas sociétaire qui veut. Son assemblée générale annuelle n’a pas un caractère public, non plus que le bilan de ses opérations et ses rapports financiers. Dire que le service de traversier est géré et opéré par des Madelinots est juste, mais cela ne permet évidemment pas de conclure que les citoyens de l’archipel ont leur mot à dire ou un accès à l’information sur la gestion des opérations.
Résidents ou visiteurs ?
Parmi les réactions à la nouvelle de la semaine, on peut identifier deux sujets distincts : les places disponibles et la tarification. En ce qui concerne l’accès au traversier, il faut à tout prix éviter d’opposer les besoins particuliers des citoyens locaux à ceux des visiteurs. Le respect des résidents locaux et de leur droit de circuler librement va de pair avec celui de la clientèle touristique dont l’apport économique est irremplaçable. Bien sûr, le service de traversier vient pallier l’absence d’un lien terrestre et devient ainsi de facto notre autoroute. Or, le service initial Roll-On Roll-Off des années 1970 et la règle du premier arrivé, premier servi a cependant dû être ajustée en fonction de l’achalandage estival pour éviter la catastrophe. La comparaison avec un pont ne peut pas, pour ainsi dire, tenir la route.
Depuis des années, les Madelinots se sont donc accommodés du système de réservation en sachant par ailleurs qu’il existait une marge de manœuvre pour les déplacements impromptus de dernière minute. Il faut toutefois noter que la CTMA a resserré ses règles ces dernières années, appliquant l’exigence d’une réservation à longueur d’année. À tel point que des camions ont maintenant préséance sur le résident sans réservation. Affirmer aujourd’hui que des accommodements sont possibles en cas d’urgence est peut-être trop restrictif. Les résidents des Îles ne doivent pas avoir, plus que quiconque, à se justifier de vouloir partir ou revenir dans leur archipel. Des espaces réservés aux Madelinots, sinon aux clients sans réservation, est une avenue qui mérite analyse. Et surtout, l’idée que l’on doive se rendre physiquement sur le quai et y demeurer des jours s’il le faut pour assurer sa place «standby» est inadmissible en regard des moyens technologiques actuels. Une fois inscrit, le passager devrait avoir la liberté de se déplacer pour manger ou aller dormir, surtout lorsqu’il est en attente d’une traversée vers les Îles…
Les Madelinots ont aussi dû s’ajuster récemment à des resserrements dans les modalités d’embarquement, sans toujours en voir la pertinence. CTMA exige maintenant la présence du voyageur une heure avant l’heure prévue du départ, avec pour sanction de perdre non seulement sa place, mais aussi le dépôt sur sa réservation s’il ne reste plus de place pour un embarquement «standby». Or, le traversier accuse lui-même des retards réguliers en réduisant sa vitesse de croisière pour économiser le mazout, surtout en basse saison. La ponctualité du service n’est-elle pas, avec la sécurité, la règle d’or des services publics de transports terrestres, aériens et maritimes partout dans le monde ?
Quant à la tarification, la problématique est complexe. Le fédéral finance au coût de plusieurs millions de dollars la desserte. À elle seule, la traverse hivernale avait nécessité l’injection supplémentaire annuelle d’un million et demi de dollars. Le gouvernement exige cependant que les usagers paient une partie des coûts du service, ce qui se traduit par un taux de recouvrement de 50 à 80%. Il faudrait voir où se situe ce taux par rapport aux traverses de Marine Atlantic. Un autre paramètre de comparaison consiste à calculer le tarif passager en fonction des km parcourus. Le fait d’appliquer la tarification adulte aux enfants de 12 à 18 ans mériterait aussi discussion.
En attendant la mise en place d’un mécanisme de discussion, le contexte électoral devrait au moins permettre de soutirer certains engagements auprès des candidats. Le financement du service n’est assuré que jusqu’en mars 2016. C’est demain ! Sans compter la question du remplacement du navire, qui atteint l’âge vénérable de 34 ans.