Transport aérien: De mal en pis

La suppression de 3 vols réguliers prévus par Air Canada à la fin septembre et au début octobre a pris tout le monde par surprise la semaine dernière. Comme si le transporteur mal-aimé avait voulu rappeler son existence aux Madelinots, inquiets du sort de Pascan Aviation qui vient de se placer sous la protection de la loi des arrangements avec les créanciers.
Un porte-parole d’Air Canada a décrit la situation comme une mesure exceptionnelle liée au manque d’achalandage anticipé, assurant que le transporteur ne remettait nullement en question la desserte régulière de l’archipel. La décision du transporteur n’en demeure pas moins énigmatique et inquiétante dans le contexte actuel. Elle nous rappelle surtout deux vérités fondamentales. D’une part, malgré les turbulences nombreuses en transport aérien depuis 25 ans, Air Canada est le seul transporteur qui a toujours su offrir un service continu, fiable et sécuritaire aux Madelinots. D’autre part, Air Canada n’offre ce service que parce qu’il est globalement rentable sur une base commerciale. Autrement dit, Air Canada ne risque pas de migrer vers un service «à la demande» au jour le jour, ce n’est pas son modèle d’affaires, mais il pourrait très bien abandonner la desserte si elle s’avérait un jour déficitaire.
Fruit du hasard ou geste calculé, l’annulation des vols d’Air Canada nous amène à nous interroger à nouveau sur les besoins réels en transport aérien, l’opportunité de l’intervention gouvernementale et l’approche de développement à privilégier.
Achalandage
Air Canada justifie donc l’annulation de ses 3 vols par un manque d’achalandage. Le prétexte est, hélas, tout à fait plausible. La réduction draconienne du nombre de vols de Pascan depuis mai dernier, dont ceux de la fin de semaine, suivait forcément la même logique commerciale. Au milieu des années 2000, en situation de quasi-monopole d’Air Canada, les intervenants locaux estimaient que l’offre de sièges était inférieure à la demande. Alors que les deux transporteurs actuels revoient leurs stratégies, la question pourrait aujourd’hui se poser à l’inverse : l’offre de sièges dépasse-t-elle la demande ?
On dira bien sûr que le prix des billets a toujours un impact sur la décision ou non de voyager par avion. Cela était vrai aussi il y a dix ans. Ce qu’il y a de nouveau, toutefois, c’est le contexte d’austérité et d’incertitude économique qui prévaut. Par exemple, la baisse d’achalandage sur les vols du transporteur Pascan n’est surement pas étrangère à la réduction majeure du nombre de déplacements de malades autorisés par l’hôpital. Le contrat obtenu du Centre de santé par Pascan lui avait permis de consolider son offre, il y a quelques années. Si les coupes dans le secteur de la santé entraînent une réduction de déplacements, il en est de même dans le secteur de l’éducation. Dans la fonction publique, c’est de notoriété publique, les fonctionnaires n’ont plus l’autorisation de se déplacer. Les instances de développement régional, qui nécessitaient un certain nombre de déplacements, ont été abolies. En escale à Gaspé, les vols d’Air Canada se remplissaient régulièrement de fonctionnaires et de travailleurs du secteur de l’éolien, aujourd’hui en forte décroissance. Ajoutons à cela la réforme de l’assurance emploi, les coupes aux organismes communautaires et les perspectives de grève (donc de pertes salariales) des employés du secteur public, on y pense deux fois avant de réserver un billet d’avion. De combien de vols de combien de sièges avons-nous aujourd’hui besoin ?
Projet-pilote
En mai dernier, les instances locales ont présenté au gouvernement une demande d’aide financière pour un projet-pilote présentant un «nouveau modèle» de desserte aérienne. La proposition avait pour but de soutenir la mise en place par Pascan d’un deuxième vol quotidien, dès l’été 2015, dont le coût des sièges seraient garantis conjointement par la «communauté madelinienne» et le gouvernement, à hauteur de plus 4 millions de dollars pour une période de 16 mois. L’été est maintenant derrière nous et le gouvernement n’a toujours pas offert de réponse. Le délai de mise en œuvre, soit quelques jours à peine, était évidemment irréaliste. On peut aussi deviner que la situation financière précaire du transporteur Pascan, en demande d’aide financière auprès du gouvernement depuis un an, a vite refroidi le ministère.
Mais c’est sans doute le modèle lui-même qui pose le plus grand problème au gouvernement. En 2006, le ministère des Transports a redirigé une subvention de plus de 2 millions de dollars qu’il offrait depuis 3 ans à Air Canada vers un programme d’aide au transport aérien bonifié, ciblé sur l’aide directe aux citoyens (remboursement de 30% du coût des billets) et sur la mise en œuvre de dessertes dites essentielles, pour un maximum de 200,000$. On est loin du compte. Il faudrait donc que la demande du milieu soit analysée et financée hors programme. Cela étant, il faudrait surtout que le gouvernement Couillard adopte une approche diamétralement opposée à celle qui prévaut actuellement dans sa logique de révision du modèle québécois. La réduction du rôle et de la taille de l’État et la logique du libre marché qu’il privilégie va évidemment à l’encontre d’un projet-pilote qui vise à pallier le manque de passagers, d’achalandage, à coup de subventions. Ne fut-ce que pour une période d’essai. Vu sous cet angle, le modèle proposé sera-t-il perçu comme nouveau ou au contraire comme la poursuite d’une formule interventionniste que le gouvernement rejette d’emblée? Et si le projet-pilote est mis en œuvre et qu’il obtient du succès, Air Canada maintiendra-t-elle son niveau de service ?
Insularité ou isolationnisme ?
La problématique actuelle en transport aérien pourrait également nous permettre de voir les premières conséquences directes de l’abolition des instances régionales de développement et la mise à mal du modèle de concertation depuis avril 2014. Bien que la situation des Îles soit exceptionnelle du point de vue de l’insularité, la desserte aérienne a toujours nécessité l’arrimage avec des escales dans l’est du Québec pour être pratique et rentable. Les difficultés actuelles ou appréhendées sont régionales, comme le démontrent les réactions d’inquiétudes à Gaspé et Bonaventure. Il ne faut pas confondre insularité et isolationnisme.
Le conseil central de la CSN propose la tenue d’un sommet régional sur le transport. L’idée est intéressante, surtout si elle favorise la relance du comité de concertation sur le transport aérien régional au ministère des Transports. Une telle plate-forme permettrait de lier le gouvernement au dossier, d’offrir à Pascan le support de nos communautés, mais aussi d’entamer la relance du dialogue avec Air Canada.Capture d'écran 2015-09-28 09.10.01

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