De passage aux Îles la semaine dernière, le ministre de l’Environnement, David Heurtel semble avoir bien compris que les Madelinots sont touchés de façon plus immédiate qu’ailleurs par les effets des changements climatiques et autres enjeux environnementaux. «Les Îles, c’est un peu le canari dans la mine», a-t-il illustré, faisant référence à cet oiseau autrefois utilisé dans les mines de charbon pour détecter les gaz toxiques et donner le signal d’évacuation. Or, bien que les signaux d’alarme des «Îles canari» sont nombreux, l’arrimage entre le discours et l’action gouvernementale fait gravement défaut.
Le dossier de la protection de l’eau potable illustre bien le phénomène. Inquiets face à d’éventuels projets de forage gazier aux Îles, les Madelinots ont réclamé et obtenu des audiences du Bureau d’audiences publiques en environnement. La participation citoyenne a été impressionnante et les recommandations du BAPE commandent du gouvernement un resserrement règlementaire. Deux ans plus tard, non seulement le rapport est-il resté lettre morte, mais le nouveau règlement adopté l’an dernier a gommé la protection spécifique aux nappes souterraines de l’archipel qui figurait au règlement précédent. Le ministre Heurtel dit aujourd’hui ne pas fermer la porte à une règlementation spécifique aux Îles. Difficile à suivre.
Hydrocarbures
Le dossier des hydrocarbures comme celui de la politique énergétique du Québec est tout aussi révélateur d’une approche gouvernementale ou la cohérence est mise à l’épreuve. Interrogé sur le projet de loi miroir, qui fera bientôt lever le moratoire sur les forages en mer, le ministre Heurtel continue d’évoquer la concurrence avec Terre-Neuve pour justifier la précipitation de son gouvernement alors que tout indique que la province voisine regarde ailleurs. La plupart des intervenants au dossier, dont les pêcheurs, réclament au contraire une approche interprovinciale, prudente et appuyée sur des études d’impacts indépendantes. Bien que le ministre se dise en mode écoute, le pas déterminé du gouvernement pour tout mettre en place afin de favoriser l’exploitation du pétrole en mer laisse songeur quant au poids qui sera accordé au point de vue des Madelinots. Rien n’indique que le signal du canari sera entendu…
Politique énergétique
Pour s’en convaincre, le dossier de la nouvelle politique énergétique du Québec offre un exemple éloquent. Après la tenue d’audiences publiques partout au Québec, dont une participation record aux Îles à l’été 2013, le gouvernement Couillard a tabletté le rapport des commissaires et recommencé l’exercice en circuit fermé, entre experts, confinant le citoyen à une plate-forme web. Pour les Îles, c’est une visioconférence à huis clos, sur invitation, qui a fait office de consultation publique. Ce faisant, non seulement le gouvernement va-t-il à l’encontre de son discours de transparence, mais il se prive d’une plate-forme de sensibilisation extraordinaire quant aux choix énergétiques auxquels les entreprises comme les citoyens seront nécessairement confrontés si l’objectif de réduction de 37,5% des gaz à effets de serre doit être atteint. Par exemple, les Madelinots doivent être partie prenante aux débats sur l’avenir de la très polluante centrale thermique de Cap-aux-Meules, un enjeu dont le ministre Heurtel s’est dit préoccupé. Il n’est pas facile de comprendre qu’Hydro-Québec a annoncé le prolongement de la vie utile de la centrale de 12 ans l’été dernier, quelques mois après que le rapport de la Commission sur les enjeux énergétiques eut évoqué la solution du câble sous-marin.
La dépendance des Îles aux combustibles fossiles est totale et seul un soutien conséquent de l’État peut nous permettre d’explorer les pistes de transition vers les énergies nouvelles. Des dizaines de citoyens et organisations du milieu appuient le projet de faire des Îles un laboratoire de recherches appliquées sur les énergies nouvelles, conscients des retombées économiques, sociales et environnementales positives que cela entrainerait. Même le ministre Heurtel n’y ferme pas la porte. Il s’agit d’un projet de longue haleine, une démarche qui devra sans doute entrainer des changements de culture et de comportement individuels. Pourquoi ne pas se donner l’occasion d’en discuter dans la sphère publique? Ironiquement, l’archipel des Îles Canaries, au large de l’Afrique, est en cela un modèle alors que l’Île Hierro (10 000 habitants) est passée de la pétrodépendance totale à une production énergétique entièrement renouvelable…
Et les matières résiduelles
Le dossier du traitement des matières résiduelles permet aussi de voir l’archipel sous l’angle du canari. Confrontés à l’exiguïté du territoire et à l’érosion, les Madelinots ont cessé l’enfouissement des ordures, entrepris le recyclage et le compostage plus d’une décennie avant le reste des Québécois. À leurs frais. Il sera important de voir quel suivi le ministre Heurtel accordera au signal d’alarme des élus quand au poids financier que supportent les contribuables madelinots pour le traitement des déchets. Non seulement la facture est-elle deux fois plus élevée qu’ailleurs au Québec, mais le déversement à la mer des dépotoirs du passé fait aussi peser sur les citoyens madelinots le poids d’éventuelles opérations de nettoyage complexes et couteuses qu’entraîne l’érosion des berges, accentuée par les changements climatiques induits par la production de gaz à effets de serre, ces derniers issus de la combustion des carburants fossiles. Le message du canari ne pourrait être plus clair.