Flushgate: Deux poids, deux mesures

Le projet de la ville de Montréal de verser 8 milliards de litres d’eaux usées directement dans le fleuve sème la controverse depuis plusieurs jours. Pour les riverains du fleuve et du golfe St-Laurent, la révélation de ces pratiques douteuses et malodorantes est troublante à bien des points de vue. Le «flushgate» est d’autant plus choquant pour les Madelinots qu’on leur serre la vis sur la gestion des eaux usées domestiques.
Si le projet se concrétise, ce sont les égouts du tiers des Montréalais qui se retrouveront dans l’eau du fleuve sans aucun traitement pendant une semaine. La ville, récemment jumelée avec les Îles, nous enverra par le fleuve un volume d’eau contaminée équivalent à quatre stades olympiques remplis à ras bord. On n’en parle peu, mais ultimement, c’est le golfe du Saint-Laurent qu’on utilise comme réceptacle de ces eaux usées.
Les égouts dans le garde-manger
Souvent décrit comme notre garde-manger, on découvre que le golfe devient périodiquement le champ d’épuration du trop-plein d’eaux usées de Montréal et de plusieurs autres villes québécoises. En effet, au-delà du cas d’espèce actuel, on apprend que Montréal a déversé plus de 18 milliards de litres d’eaux usées dans le fleuve en 2003, puis 769 millions de litres en 2005. Pis encore, plusieurs villes déversent régulièrement le trop-plein de leurs usines de traitement des eaux lors d’épisodes de pluies abondantes. On recense 45 512 de ces évènements, qu’on appelle surverses, pour l’année 2013 seulement. La ville de Toronto, en amont de Montréal, cumulerait à elle seule pour 10 milliards de litres de surverses par année dans la voie maritime du Saint-Laurent.
Alors que plusieurs s’inquiètent d’éventuelles marées noires dans le golfe si le gouvernement mène à terme son projet d’y accueillir les projets pétroliers, on découvre que les villes polluent de façon routinière le Saint-Laurent dans lequel plusieurs d’entre elles puisent pourtant leur eau potable, et nous notre poisson, avec la bénédiction du ministère de l’Environnement.
Les révélations en cascade et les nombreux rebondissements de l’affaire ont vite donné à ce dossier une tournure politique. Des maires de certaines municipalités riveraines du St-Laurent, qui ont appris la nouvelle par les médias, n’ont pas caché leurs préoccupations et leur désaccord. Le gouvernement conservateur, dont le bilan environnemental est on ne peu plus mince, a pour sa part profité de la campagne électorale pour soulever des doutes sur la pertinence du projet et suspendre temporairement les autorisations pour étudier la question.
Pendant ce temps, à Québec, les partis d’opposition ont demandé la démission du ministre de l’Environnement, David Heurtel. Cela fait partie du jeu politique. N’empêche, il faut dire que le ministre a une fois de plus trébuché dans ce dossier en affirmant à répétition que cette mesure était nécessaire pour protéger l’eau potable de Montréal, avant de se raviser et de parler d’un lapsus. Il se dégage néanmoins de cette histoire d’eaux usées l’odeur nauséabonde de la complaisance et d’un manque de transparence dans l’administration publique. Il est aussi particulièrement troublant d’apprendre que le ministère a approuvé, sans la valider, une telle procédure, en se fiant simplement aux autorités montréalaises. Pendant ce temps, le maire Coderre jurait qu’il n’y a pas d’autre solution, sans que sa ville n’ait envisagé d’autres pistes…
Le mauvais signal
Pendant que le ministre de l’Environnement s’employait à minimiser les impacts du déversement prévu, des experts ont affirmé que le débit du fleuve puis la salinité du golfe auraient pour effet de dissoudre et de disperser les coliformes. Pour bien des Madelinots le message retenu sera que, outre les préservatifs, les tampons et résidus bio pharmaceutiques plutôt gênants, l’eau salée du golfe peut agir comme bassin de dissolution et de décantation des eaux usées. Rappelons qu’en 2010-2011, le gouvernement du Québec a imposé des normes de lotissement plus contraignantes aux Madelinots dont la propriété donne sur la berge. Cette mesure dite de protection du corridor riverain restreint les possibilités de lotir les terrains, sous prétexte de donner plus d’espace au traitement des eaux usées qui se déversent ultimement à la mer…
Pour les contribuables, l’affaire a également de quoi faire réfléchir alors que la municipalité a entrepris une grande opération de mise en conformité du traitement des eaux usées des résidences isolées, prévue sur un horizon de trois ans. Le fait que Montréal défende son projet en disant que toute autre solution serait trop couteuse n’a pas de quoi convaincre. Si, comme on le croit, le tiers des résidences de l’archipel ont un système de traitement des eaux usées non conforme, l’opération en cours constitue un grand chantier de quelque 30 millions de dollars, assumé entièrement par les contribuables eux-mêmes. Sans compter que, comme on l’a déjà mentionné, les réseaux d’égouts ont été largement subventionnés par le gouvernement alors que les résidences isolées ne le seront aucunement. Certains remettront en question la pertinence d’investir 25 000 dollars dans un système de traitement de leurs eaux usées en apprenant aujourd’hui de la part des autorités compétentes que la mer ferait tout aussi bien le travail…
La question n’est pas ici de remettre en cause le principe du traitement adéquat des eaux usées domestiques puisque personne n’est contre la vertu. Il faut se rappeler que gouvernement du Québec a massivement subventionné l’implantation de réseaux d’égouts dans différentes localités de l’archipel dans le but de protéger les aires d’alimentation en eau potable. Mais s’il ne le fait plus et refuse de contribuer au prolongement des réseaux, c’est qu’il considère que la nappe phréatique est adéquatement protégée. Restent la pollution des lagunes et du golfe, l’impact visuel des installations non conformes et les odeurs.
Du message contradictoire lancé par le ministère de l’Environnement, il se dégage une forte impression du deux poids, deux mesures quand il traite avec la métropole ou avec les citoyens, par l’intermédiaire des règlements applicables par les municipalités. Quant à la notion d’urgence de se conformer aux normes, certains diront qu’elle ne tient plus la route. Un jour où l’autre, les propriétaires de centaines de résidences aux Îles seront sommés de déposer un plan de mise en conformité de leur installation septique dans un délai jugé raisonnable. Ils pourront alors se souvenir qu’un seul déversement de 8 milliards de litres d’eaux usées par la ville Montréal équivaut à la production en eaux usées de l’ensemble des résidences non conformes de l’archipel sur une période de 20 ans.
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