Cap sur mer: La faillite du gouvernement

La faillite «officielle» de Cap sur Mer est passée à peu près inaperçue, il y a deux semaines, dans le tumulte de la fin de la campagne fédérale. La nouvelle est pourtant d’importance, puisque le naufrage de l’entreprise de transformation de produits marins a entraîné dans son sillage des pertes de près de 30 millions de dollars en fonds publics. Si l’assemblée des créanciers constituait une étape charnière de cette saga, la dernière page de l’histoire ne pourra être tournée qu’une fois que la lumière aura été faite sur ce qui apparaît comme le plus grand gaspillage d’argent gouvernemental de l’histoire dans l’archipel.
À travers la faillite de l’entreprise de Grande-Entrée, c’est le gouvernement qui a failli. Il a failli à ses responsabilités de saine gestion, failli à ses devoirs de saine gouvernance. Le gouvernement a failli à une époque où il exige tant et tellement de ses citoyens. Il peut néanmoins faire amende honorable et expliquer comment il en est arrivé là. Si le principe d’imputabilité des élus a encore un sens, il en a même le devoir et l’obligation.
30 millions, c’est beaucoup
Il est d’ailleurs étrange que le gouvernement lui-même ne cherche pas à savoir comment tout cela a bien pu se passer. À moins qu’il ne le sache, et qu’il préfère ne pas en parler. C’est le propre du monde politique actuel de multiplier les annonces et, sous prétexte de se tourner vers l’avenir, d’occulter le passé et le résultat de ses actions. Alors qu’il dit manquer d’argent, qu’il coupe dans les services de l’État et demande de lourds sacrifices à ses citoyens, le gouvernement devrait au moins prouver qu’il a tiré des leçons de ses erreurs.
Faut-il le mentionner, une perte sèche de 29,3 millions, ce n’est pas rien. Pour le commun des mortels, il est difficile d’imaginer ce que représente une telle somme. Avec 30 millions de dollars, il est possible de réaliser la réfection complète des routes municipales des Îles, tout en se gardant un petit coussin de 10 millions $ pour les imprévus. Avec cette somme, on peut subventionner à 100 % la mise aux normes en eaux usées de toutes les résidences non conformes de l’archipel. On peut aussi se payer deux arénas deux glaces en cadeau, en argent comptant. C’est aussi deux fois et demie les coûts de l’allongement de la piste de l’aéroport, etc.
Selon le syndic de faillite, Jean Chiasson, le montant total de la perte en fonds publics se divise à peu près ainsi : 8 millions de dollars pour la construction d’une nouvelle usine et de 4 à 5 millions de dollars par année en déficit d’opération annuel, sur une période de 5 ans. On a toujours invoqué le maintien des 400 emplois de l’entreprise pour justifier l’intervention gouvernementale. Sauvegarder les emplois, certes, mais au mépris de la rentabilité? Le gouvernement juge-t-il qu’il en a eu pour son argent ? Que dire des entreprises d’ici et d’ailleurs, petites et grandes, qui peinent à joindre les deux bouts. Que dire de celles à qui l’on a refusé toute aide financière ?
Où est allé cet argent ?
Il faut se souvenir que le gouvernement de Jean Charest, en 2008, a rejeté toutes les demandes de garanties de prêts à l’usine Norpro, de Havre-Aubert, entraînant ainsi sa fermeture et, par voie de conséquence, une certaine dévitalisation du village. Pourquoi les exigences sévères envers Norpro furent-elles levées dans le cas de Cap sur Mer? Quels sont les motifs réels de ce changement d’approche? Rappelons que Norpro était une usine profitable qui avait connu une mauvaise année. Pour remettre le tout en perspective, il faut savoir que 30 millions de dollars, c’est 36 fois la garantie de prêt que le gouvernement a refusée à l’usine Norpro.
Pour comprendre le désastre financier, et prévenir de tels fiasco dans l’avenir, il faudrait savoir où est passé l’argent. Quelle était donc la structure d’opérations et de gestion qui entraînait déficit sur déficit, avant et après l’annonce d’une aide financière de 21 millions de dollars par le premier ministre Jean Charest, le 23 septembre 2011 ? Les coûts de main-d’œuvre ne peuvent logiquement expliquer de telles pertes. Que savait le gouvernement du mode d’approvisionnement en matière première importée et des pratiques de commercialisation ? De fait, si la situation déficitaire était avérée, si des pertes d’opérations abyssales étaient enregistrées chez Cap sur Mer, comment expliquer que le gouvernement ait fait preuve d’un tel aveuglement ? Peut-on conclure qu’une partie des sommes avancées à l’entreprise sont allées éponger des déficits antérieurs? Le cas échéant, le gouvernement était-il au courant ? Si oui, comment se fait-il qu’il ait autorisé une telle pratique, pourtant contraire aux paramètres de tous les programmes d’aide de l’état ?
Il faut également se souvenir que les créanciers surveillaient de près les états financiers de l’entreprise. Une firme spécialisée a effectué pendant des mois un suivi rigoureux la situation. Forcément, l’information devait être disponible et transmise aux décideurs.
Pourquoi ?
Outre le ministère des Pêcheries, le ministère des Finances a été impliqué de près dans l’analyse du dossier pendant de longs mois en 2010 et 2011. Dans quel contexte les fonctionnaires ont-ils effectué leur travail ? Pourquoi les analystes chevronnés du gouvernement n’ont-ils pas sonné l’alarme ? Ne savaient-ils pas qu’il s’agirait d’un gouffre sans fond ? Qui a recommandé l’octroi des 21 millions de dollars? En résumé, qui a pris la décision finale et sur quelle base, pour quelles raisons ? La moindre demande de subvention au gouvernement doit être accompagnée d’un solide plan d’affaires, d’états financiers prévisionnels, etc. Quelles garanties le gouvernement possédait-il pour autoriser de tels investissements ?
La transparence totale, dans ce dossier, plus que tout autre, demeure la seule façon de rétablir la confiance des citoyens-contribuables. Nous l’avons déjà mentionné, une enquête rigoureuse et impartiale du vérificateur général du Québec nous apparait la meilleure façon de lever le voile sur les événements.
On peut aujourd’hui se réjouir du fait que l’entreprise néo-brunswickoise LA Renaissance opère les usines de Grande-Entrée et de Gros-Cap de façon rentable, en employant 400 Madelinots. Cela ne doit pas pour autant permettre au gouvernement de se soustraire à son devoir de rendre des comptes quant au processus décisionnel qui a mené à la situation actuelle et à son obligation de révéler les détails de l’accord de vente signé avec les acquéreurs.Capture d'écran 2015-11-06 08.38.22

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