Dialogue de sourds

La plus récente consultation gouvernementale sur les hydrocarbures, tenue aux Îles la semaine dernière, a permis une fois de plus aux opposants à l’exploitation du pétrole, en mer comme en milieu terrestre, d’exprimer publiquement leur point de vue. Manifestement, il s’agit d’un dialogue de sourds puisqu’ils répondent dans l’ensemble à une question que le gouvernement ne leur pose pas, celle de la pertinence ou non de développer l’industrie pétrolière.

Pour le gouvernement, la pertinence ne fait pas de doute, la cause est entendue. Il affirme depuis longtemps un préjugé favorable à l’exploitation des hydrocarbures, cherchant essentiellement à obtenir, à travers les études environnementales stratégiques, les consultations en ligne et autres forums d’experts tenus à répétition depuis 12 ans, la faveur de l’opinion publique. Cette énième consultation ne cherche donc pas à savoir s’il faut ou non aller de l’avant, mais comment le faire de façon à rassurer le public et en minimisant les risques financiers, sociaux et environnementaux.

Processus bâclé

Ce qu’il y a de différent, cette fois, c’est la précipitation avec laquelle le gouvernement procède, au mépris des règles démocratiques les plus élémentaires en matière de consultation. Après avoir donné la parole aux experts sur la politique énergétique, l’hiver dernier, le gouvernement a entrepris des consultations sur les hydrocarbures avec un préavis d’à peine un mois. Pis encore, il consulte sur la base d’une soixantaine d’études dont le quart n’ont pas encore été rendues publiques!

En ce qui a trait aux audiences tenues dans l’archipel, le décorum imposé par la quinzaine de membres de l’équipe gouvernementale n’a pas réussi à masquer le manque de préparation des fonctionnaires. Il était navrant de constater l’ignorance des commissaires sur les enjeux locaux déjà soulevés lors des multiples consultations précédentes tels l’EES 2 de Génivar, le BAPE sur l’exploitation gazière en milieu terrestre, le Forum sur les hydrocarbures, etc. De quoi renforcer le sentiment d’un recommencement perpétuel éprouvé par une majorité de participants.

Fait à noter, la citoyenne de Grosse-Ile dont le premier ministre Couillard avait fait un symbole de sagesse populaire et d’attachement au terroir pendant sa campagne électorale, Nancy Clarke, a signifié publiquement son opposition aux forages en mer.

Repartir à zéro

La poignée de mémoires déposés et les quelques interventions spontanées des participants ont donc pour la plupart dénoncé le processus de consultation en cours, sur la forme et sur le fond. Sur la forme, ils ont décrié l’exercice précipité, le délai de préparation inacceptable et l’information manquante dont souffre le processus, qualifié de «parodie de démocratie». Sur le fond, ils ont critiqué le préjugé favorable du gouvernement envers les énergies fossiles, l’acoquinement perçu avec l’industrie et la confusion des rôles du gouvernement promoteur. Certains auraient préféré le recours au Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) pour assurer l’indépendance et l’intégrité du processus.

Cette dernière suggestion, qui fait généralement consensus, ne doit pas faire oublier que les Madelinots ont déjà obtenu un BAPE sur l’exploitation gazière et son impact sur l’eau potable, en 2013, sans qu’aucune des recommandations n’ait jamais été mise en œuvre par le gouvernement. Rien! Au contraire, le ministère a révisé son règlement sur la captation des eaux souterraines en allégeant la protection spécifique accordée préalablement aux nappes phréatiques des Îles. Il en va de même pour les consultations sur la Politique énergétique du Québec, dont les audiences spécifiques ont été tenues aux Îles sous le gouvernement de Pauline Marois. Le rapport et ses recommandations, notamment quant au raccordement électrique de l’archipel au continent, ont été tablettés. Le gouvernement Couillard a simplement décidé de reprendre l’exercice en circuit fermé, ne tenant aux Îles qu’une consultation à hui-clos, par vidéoconférence.

De même, le gouvernement feint d’ignorer l’étude environnementale stratégique menée par Genivar (EES 2) qui avait conclu à la non-acceptabilité sociale, la méconnaissance de l’écosystème du St-Laurent et l’incapacité d’intervenir adéquatement en cas de marée noire. Rien n’a changé, semble-t-il, mais on efface tout et on recommence!

Opposition unanime?

Les prises de position exprimées publiquement lors des récentes audiences sur les hydrocarbures ont donné l’impression d’une unanimité totale du milieu. Les groupes environnementaux et plusieurs citoyens inquiets rappellent les risques environnementaux, la non-acceptabilité sociale et le manque de connaissances scientifiques. Ils invoquent le rapport coûts-bénéfices défavorable aux énergies fossiles, le lourd passif madelinot en matière d’hydrocarbures (Irving Whale, puits de la SOQUEM, Corfu, Hydro-Québec) et recommandent la transition vers les énergies vertes. La municipalité réclame pour sa part le maintien du moratoire tant qu’une série de conditions, telles l’acceptabilité sociale et une entente interprovinciale, ne seront pas réunies.

Tous appuient leur argumentaire sur la fragilité environnementale de l’archipel dont dépend largement notre économie basée sur les pêches, la mariculture et le tourisme. À cet égard, le silence des intervenants économiques, dont le tourisme, et des pêches est pour le moins étonnant. La Chambre de commerce des Îles a d’ailleurs dénoncé la perception d’unanimité du milieu contre les hydrocarbures en mars 2014, estimant qu’une majorité de ses membres appuient la position propétrole de la Fédération des Chambres de commerce du Québec. Si cela est juste, on aurait aimé l’entendre. Si cela a changé, c’est tout aussi important de l’annoncer publiquement. Quant aux groupes de pêcheurs et d’industriels des pêches, comment expliquer qu’ils aient signé une demande commune de moratoire sur les forages en mer à l’été 2015, mais ne jugent pas utile de la réitérer au gouvernement, au moment où il vient consulter? Si la majorité des intervenants socio-économiques majeurs évitent de prendre position dans ce débat public, qu’en est-il de la population en général?

Dans ce dialogue de sourds, il ne serait pas étonnant que le gouvernement n’ait d’oreilles que pour ce qu’il décrira comme la majorité silencieuse.Capture d'écran 2015-01-30 21.15.29

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