Déversement au port de Cap-aux-Meules: Que s’est-il passé?

Les causes précises du déversement de 100 000 litres de diésel dans le port de Cap-aux-Meules, en septembre 2014, demeurent nébuleuses. Les accusations criminelles déposées la semaine dernière contre Hydro-Québec devraient permettre de faire toute la lumière sur cette catastrophe environnementale, et c’est tant mieux!

La décision de la Direction des poursuites criminelles et pénales (DPCP) de déposer des accusations est d’autant plus réjouissante qu’il y a un an, presque jour pour, le ministère de l’Environnement du Québec mettait en doute la pertinence même d’une enquête. Insatisfait de son plan de caractérisation des sols, le ministère avait pourtant sommé Hydro-Québec de refaire ses devoirs. La perspective qu’il n’y ait pas d’enquête ne semblait pas inquiéter les autorités locales outre mesure. Il aura fallu la prise de parole dans les médias de citoyens et de groupes écologistes indignés, soucieux d’aller au fond des choses, pour que le ministère annonce finalement la tenue d’une enquête, dix jours plus tard. La suite leur donne raison.

Transparence

Dans ce dossier, Hydro-Québec brille bien davantage par ses stratégies de communication de crise et de contrôle du message que par la transparence qu’on souhaiterait de la part d’une société d’État. Après avoir confirmé que son oléoduc était en cause, deux jours après la fuite, Hydro-Québec déployait tout son arsenal de relations publiques, dépêchant aux îles le PDG Thierry Vandal lui-même, des experts en décontamination, des équipements spécialisés. La Société n’a heureusement pas lésiné sur les moyens de nettoyer les dégâts, tant sur le plan environnemental que sur son image. Contenir la fuite, assurer la continuité de l’alimentation en carburant de la centrale et entreprendre la réhabilitation des sols étaient assurément les gestes prioritaires à poser. Le «contrôle des dommages», c’est bien, mais cela ne doit pas pour autant faire obstacle à la question fondamentale : pourquoi cela est-il arrivé?

Négligence?

Depuis les tout premiers signes du déversement, alors même qu’Hydro-Québec hésitait à confirmer sa responsabilité, des allégations de négligence ont été portées puis balayées du revers de la main par la société d’État. Les rapports d’entretien de l’oléoduc devraient, entre autres, permettre de clarifier la situation. Sauf que la culture du secret qui règne chez Hydro-Québec ne permet à personne de vérifier les faits. C’est en ce sens que le transfert du dossier à la cour devient intéressant. Non seulement le ministère de l’Environnement, puis le DPCP confirment-ils que la société d’État n’est pas au-dessus des lois, mais la démarche judiciaire ouvre la porte au dévoilement des faits, de la vérité.

Pour l’instant, les détails de l’enquête du ministère de l’Environnement n’ont pas été révélés, non plus que les preuves déposées à l’appui des accusations criminelles portées par le DPCP. La présomption d’innocence prévaut. Or, la décision d’Hydro-Québec d’enregistrer un plaidoyer de non-culpabilité nous permet pour l’instant d’espérer que les informations seront rendues publiques, devant la cour, que les faits seront étalés au grand jour. Il faut espérer que la société d’État ne change pas d’idée en cours de route, ce qui pourrait avoir pour effet de mettre le dossier sous scellé en payant une amende minimale de 52 500 dollars.

La facture

Si le paiement d’une telle amende constitue une aubaine pour Hydro-Québec, lui permettant de tourner la page et d’éviter de lourdes dépenses juridiques, la perspective de devoir assumer entièrement les frais de nettoyage doit aussi être prise en considération. À ce jour, la société d’État prévoit que le déversement aura coûté pas moins de 20 millions de dollars en décembre prochain. Devant la Régie de l’énergie, Hydro-Québec a d’ailleurs plaidé pour la création d’un «compte d’écart», afin de récupérer ces sommes par le biais d’une augmentation de tarifs d’électricité. Dans sa décision, rendue en septembre dernier, la Régie refuse que les premiers 10 millions de dollars dépensés en 2014 soient récupérés de façon rétroactive. Quant au reste, Hydro-Québec pourra le récupérer par la tarification s’il est démontré qu’elle n’est pas responsable des dégâts. Évidemment, ce seront soit les abonnés d’Hydro-Québec, soit les contribuables qui assumeront la facture. S’il faut choisir, aussi bien opter pour la solution qui nous permettra de savoir comment tout cela est arrivé.

Pétrodépendance

S’il faut y voir un aspect positif, le déversement, ses causes encore nébuleuses et son coûteux nettoyage, auront permis de remettre à l’ordre du jour la question de la pétrodépendance de l’archipel.

Ce nouvel exemple de catastrophe environnementale est aussitôt devenu un argument de plus aux tenants d’une transition énergétique, d’un virage vers les sources d’énergie nouvelles et d’une décarbonisation de l’économie. Cela devrait aussi donner du carburant au projet de politique énergétique de la municipalité dont on attend toujours l’aboutissement, plus de deux ans après le dépôt du rapport Dunsky, un bilan énergétique de l’archipel.

On pourrait aussi espérer qu’Hydro-Québec s’investisse enfin dans cette démarche visant à sécuriser l’alimentation énergétique des Îles à long terme, au meilleur coût financier, social et environnemental pour les Madelinots. Comme un partenaire à part entière du processus, la société d’État pourrait aussi clarifier les calculs qui lui ont permis l’an dernier de prolonger la durée de vie utile de la centrale thermique de 2023 à 2035, et révéler les coûts d’opération estimés, incluant les dépenses collatérales qu’on ne peut aujourd’hui nier.2014-09-13 12.49.02

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