Paris-Les Îles

L’accord historique de Paris sur le climat, conclu samedi dernier, arrive à la veille des Fêtes comme un cadeau pour la planète, une bonne nouvelle pour plusieurs régions du monde dont, au premier chef, les régions insulaires comme notre archipel.

Au terme d’une douzaine de jours de discussions, les 195 pays présents à la COP21 se sont donc fixé comme objectif de contenir le réchauffement climatique sous la barre des 2° C d’ici la fin du siècle, voire même 1,5°. Ce qui est nouveau et réjouissant, c’est la reconnaissance internationale, unanime et explicite, que le phénomène est réel et inquiétant et que chacun doit agir dans l’objectif d’un monde sans carbone d’ici 2100. Les îles-de-la-Madeleine et les Madelinots sont doublement interpelés dans ce dossier: nous sommes à la fois parmi les premières victimes des changements climatiques alors que nous comptons au nombre des premiers producteurs per capita de gaz à effet de serre (en raison de la centrale thermique d’Hydro-Québec) qui causent le réchauffement du climat.

Les Îles en première ligne

Les îles-de-la-Madeleine étaient donc au cœur des discussions sans y être. Nous le savons plus que quiconque, les milieux insulaires sont les plus vulnérables, ils sont les premiers à subir les impacts du réchauffement climatique. De nombreux indicateurs montrent un accroissement de la vulnérabilité de notre milieu depuis 30 ans. La rigueur des deux derniers hivers ne doit pas nous faire oublier la tendance lourde du réchauffement des températures, de la disparition des glaces et des tempêtes plus fréquentes et plus destructrices. Le temps doux de ce début d’hiver pourrait annoncer le retour à cette nouvelle réalité dont les conséquences sont particulièrement marquées en regard de l’érosion des berges.

Selon les plus récentes données du chercheur Pascal Bernatchez, de l’Université du Québec à Rimouski, le recul moyen des côtes dans l’archipel a été de 30 cm en 2013-2014, malgré l’imposant couvert de glace. En 2010-2011, une année de temps doux et de tempêtes, on avait enregistré un recul d’un mètre et demi! Il ne faut d’ailleurs pas croire que l’accord de Paris règlera le problème. La montée des océans se poursuivra bel et bien pendant des décennies, tout au plus peut-on espérer d’éviter les scénarios les plus catastrophiques. Des cartes rendues publiques en marge de la conférence de Paris par le groupe américain Climate Central tracent deux scénarios de submersion des villes et régions côtières à la fin du siècle dans le cas d’une augmentation de 2° et de 4°C. Dans un cas comme dans l’autre, la route 199 serait submergée en maints endroits, tout comme le site de la Grave, les pointes de Grande-Entrée et de Havre-aux-Maisons, etc.

À cela s’ajoutent les effets du réchauffement climatique sur les pêches maritimes que les études commencent à documenter. Une eau plus chaude fait migrer le maquereau vers le nord du Golfe, mais favorise l’éclosion des larves de homard dont l’abondance atteint des records. Or, une eau un peu plus chaude pourrait aussi entrainer son déclin, comme cela semble s’amorcer sur la côte-est américaine. Il en est de même pour le crabe des neiges dont le rendement pourrait s’améliorer avec le réchauffement de la mer, pour ensuite voir son habitat, puis son recrutement reculer…

Que faire?

Sur le plan des ressources halieutiques, la gestion durable des stocks et un réinvestissement dans les sciences et le suivi des espèces sont les interventions les plus susceptibles de permettre à l’industrie de s’adapter. Autrement, il faut espérer que l’accord de Paris atteigne son objectif de juguler le réchauffement des océans.

Quant aux effets des changements climatiques en milieu côtier, les efforts d’adaptation doivent être poursuivis avec rigueur, vision et sans attendre. Il est heureux que le ministère de la Sécurité publique en soit finalement venu à imposer un cadre normatif plus contraignant à la Municipalité des îles en matière de zonage. Les consultations prochaines sur les modifications au schéma d’aménagement, et la publication de cartes détaillées des zones à risques devraient permettre aux citoyens de mieux mesurer les défis de la gestion de l’habitat sur un territoire vulnérable comme le nôtre. Des restrictions à la construction en zone d’érosion seront vraisemblablement aussi incontournables que décevantes pour les propriétaires visés. Pour susciter l’adhésion, les autorités publiques devront montrer l’exemple et faire preuve de la même rigueur envers toutes les catégories de contribuables.

Le défi de l’adaptation sera particulièrement marquant dans le domaine des infrastructures publiques et du transport routier. Une étude du groupe Ouranos estime à plus de 100 millions de dollars les sommes nécessaires à la protection et l’adaptation aux effets de l’érosion dans l’archipel d’ici 50 ans. Le réseau routier surtout, mais aussi plusieurs sites et bâtiments commerciaux et industriels seront touchés. Il va sans dire que l’accompagnement gouvernemental devra dépasser les 8 millions de dollars prévus annuellement pour tout le Québec.

Stratégie énergétique

Si l’accord de Paris appelle à la transition énergétique planétaire, il enjoint surtout chaque pays et chaque territoire à faire sa part. Le nouveau gouvernement du Canada en a profité pour marquer un changement de cap prévisible, et heureux, avec l’ère Harper. De façon plus surprenante, le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, a pris ses distances de l’approche inscrite au cœur même de son Plan d’action sur les hydrocarbures, lancé en juin 2014.

Le caractère contradictoire et irréconciliable du début de la mise en valeur des hydrocarbures au Québec, à Anticosti ou Old Harry, et de la décarbonisation de l’économie ne pourra que s’accentuer avec le temps. Pour afficher une ferme volonté de se détourner du pétrole, et démontrer un peu de cohérence, le gouvernement devrait s’intéresser enfin à la question énergétique sur le territoire des Îles et en faire un laboratoire d’expérimentation des énergies renouvelables, en même temps qu’un symbole de son engagement pour le climat.

L’adoption prochaine de la politique énergétique du Québec serait en cela l’occasion unique de joindre l’acte à la parole, l’opportunité pour le gouvernement Couillard de se mettre résolument en mode transition vers les énergies nouvelles.IMG_1428

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