Les dissensions qui secouent la communauté des pêcheurs de homard des Îles depuis quelques semaines laissent planer une incertitude dont les capitaines propriétaires auraient bien pu se passer, après 8 ans de crise. Tiraillés sur le plan associatif, les pêcheurs auront toutefois intérêt à s’unir rapidement sur un certain nombre d’enjeux, dont celui de la négociation du plan conjoint avec les acheteurs.
Résultat d’une désaffection des membres pour leur association depuis plusieurs années, le schisme au sein de l’Association des pêcheurs propriétaires des Îles résulte d’un puissant sentiment d’aliénation d’une majorité de ses membres envers leur association. Plutôt que d’entamer un processus de réforme interne, comme cela se fait épisodiquement dans le milieu associatif, une majorité de pêcheurs ont fait le pari de repartir à zéro. C’est dire l’ampleur du gouffre qui sépare les parties.
En plus de vouloir s’imposer comme une instance plus démocratique et davantage à l’écoute de ses membres, le Rassemblement des pêcheurs et pêcheuses des côtes des Îles (RPPCI) jouit maintenant du poids du nombre pour espérer obtenir sa reconnaissance politique et assurer son financement. Les dirigeants et membres fidèles de l’APPIM peuvent certes déplorer cette division qui bouscule leurs certitudes, voire dénoncer l’approche «conflictuelle» des dirigeants du Rassemblement, force est d’admettre qu’un exode aussi significatif des pêcheurs appelle à une certaine humilité et à un sérieux exercice de réflexion. Cela étant, dans «l’intérêt supérieur des pêcheurs» dont ils se réclament de part et d’autre, les deux parties devront trouver le moyen de collaborer, dans l’intérêt de leur membres respectifs. Dans leurs négociations avec les acheteurs comme dans leurs relations avec les deux paliers de gouvernement, leur capacité ou non de parler d’une seule voix sera garante des résultats.
Journal de bord et identifiants
En marge des questions de gouvernance, c’est le dossier du journal de bord qui a mis le feu aux poudres et donné l’impulsion au mouvement de contestation de l’APPIM. À tort ou à raison, des pêcheurs ont déploré que l’APPIM ne s’oppose pas fermement à la décision du ministère des Pêches et des Océans de leur imposer la tenue d’un carnet de bord, perçu comme une mesure de contrôle bureaucratique abusive. Le Rassemblement reprend cette critique, affirmant que le journal de bord ne contribue en rien à la protection de la ressource. Le programme des identifiants obligatoires est aussi contesté.
S’ils ont servi de catalyseurs à la création d’un nouveau regroupement de pêcheurs, ces deux dossiers comptent pourtant parmi les réalités avec lesquelles les pêcheurs doivent maintenant composer. Toutes les autres flottilles remplissent le carnet de bord et il y a fort à parier que le ministère ne fera pas exception pour l’archipel. Si les modalités d’application peuvent faire l’objet de discussion, le principe est difficilement contestable sur le plan du suivi scientifique et environnemental. Au surplus, l’accréditation de la pêche au homard comme pêcherie durable en dépendra. À l’avant-garde sur ce plan avec l’accréditation par le Marine Stewardship Council, la flottille madelinienne devra poursuivre dans la voie de l’écocertification si elle veut éviter de se faire damer le pion par ses compétiteurs. Il en va de même pour les identifiants. Les consommateurs sont de plus en plus informés, sensibles à leur alimentation et à l’environnement et exigeants quant aux produits qu’ils achètent. La traçabilité du homard de la mer à l’assiette n’est pas un effet de mode. Il s’agit d’une condition essentielle pour une industrie qui aspire à établir un standard de qualité et de fraîcheur. On pourra discuter des modalités et du partage des frais, mais là encore, la raison économique exigera tôt ou tard la poursuite des efforts en ce sens.
Négocier le plan conjoint
Dans l’immédiat, toutefois, le premier test sera celui de la prochaine négociation du plan conjoint par l’Office des pêcheurs. L’enjeu est de taille puisque les acheteurs souhaitent que la valeur témoin du marché américain soit retirée du mécanisme de fixation des prix au débarquement, ce qui pourrait avoir une incidence négative sur le revenu des pêcheurs.
Il faut savoir que l’Office des pêcheurs est accrédité par la Régie des marchés agricoles et alimentaires à titre de représentant de tous les pêcheurs aux fins de négociation du plan conjoint de mise en marché du homard des Îles. L’APPIM, et aujourd’hui le RPPCI, sont des organisations de défense des droits des pêcheurs auxquelles ces derniers adhèrent de façon volontaire. Or, l’Office entretien des rapports de proximité administrative avec l’APPIM depuis ses tout débuts, le directeur exécutif de l’association agissant notamment comme directeur administratif de l’Office et agent négociateur. Sa récente démission en tant que négociateur plonge les pêcheurs dans l’incertitude quant au processus imminent de négociation du plan conjoint. Par la voie de lettres ouvertes interposées, le Rassemblement déplore la confusion des rôles entre l’APPIM et l’Office et réclame la convocation rapide d’une assemblée générale annuelle tandis que les dirigeants de l’Office fustigent les leaders du Rassemblement, les accusant de vouloir prendre le contrôle du plan conjoint.
Dans ce climat tendu, en ce qui a trait au plan conjoint, les pêcheurs devront nécessairement et pour des raisons économiques évidentes, refaire l’unité au sein de l’Office qui les représente tous. Il faut espérer que ce passage obligé sera le prélude à un processus de réconciliation, car les pêcheurs seront d’autant plus prospères qu’ils seront solidaires.
