La dernière semaine a donné lieu à un curieux débat sur l’opportunité ou non de changer le statut de réserve écologique accordé à l’Ile Brion en 1988. Cette question, mal posée, a donné lieu à une controverse heureusement vite étouffée. Brion doit certes conserver son statut de réserve écologique, mais des «aménagements raisonnables» sont plus que jamais nécessaires.
C’est le ministre de l’Environnement, David Heurtel, qui a parti le bal en ouvrant la porte à un changement de statut, à la demande des chasseurs de loups-marins et du promoteur Total Océan. L’objectif consiste à permettre la chasse au phoque gris sur les côtes de Brion afin d’approvisionner l’entreprise et de diversifier l’économie des Îles. À cet enjeu de développement économique s’ajoute celui, de plus en plus urgent, du contrôle de la population de loups-marins. Devant le tollé de certains groupes écologistes, et de fonctionnaires de son propre ministère, le ministre a remis le couvert sur la marmite et promis qu’il n’en serait rien. Réaffirmer le statut de réserve écologique ne doit pas pour autant servir de prétexte à l’inaction.
Réserve ou refuge?
C’est à la demande des Madelinots eux-mêmes que le gouvernement du Québec a procédé à l’expropriation de l’Ile Brion pour en faire une réserve écologique il y a une trentaine d’années. Les Madelinots ont néanmoins exigé et obtenu le maintien d’un accès au territoire, afin d’éviter que ce processus ne se résume à une dépossession. Autre gain, la portion ouest de l’île, correspondant à 10% de son étendue, est exclue du territoire protégé. Ces considérations sont utiles dans le contexte actuel, en ce qu’elles démontrent que la configuration d’un statut de protection se discute, s’élabore et se négocie.
L’île est sans l’ombre d’un doute un joyau écologique pour l’archipel et le Québec. Il s’agit du seul territoire des Îles qui demeure à l’état naturel, un patrimoine inestimable qui reflète les écosystèmes tels qu’ils étaient, ou presque, au temps de Jacques Cartier. On y trouve une flore rare et une faune aviaire exceptionnelle. La présence d’un petit troupeau de phoques fait aussi partie du paysage depuis longtemps. Or, selon les estimations actuelles, le troupeau serait passé de quelques centaines à plus de 10,000 bêtes. Une population de mammifères voraces dont la croissance exponentielle crée un déséquilibre évident dans l’écosystème. Sans prédateur, le phoque gris domine la chaine alimentaire et constitue de plus en plus un concurrent féroce aux pêcheurs. Il s’agit ni plus ni moins d’un effet pervers du statut de réserve écologique intégrale. Tant et si bien qu’on peut aujourd’hui assimiler le secteur est de l’ile à un refuge pour le loup-marin. Parions que si le projet de départ avait été de créer un sanctuaire pour le phoque gris, l’acceptabilité sociale aurait été vraisemblablement impossible à obtenir chez les Madelinots. C’est pourtant ce que l’Ile Brion est en passe de devenir.
Chasser le loup-marin
Les considérations économiques ne sont bien sûr pas à négliger, mais elles doivent être considérées à l’aune de la gestion durable des espèces et du troupeau. Au-delà des retombées économiques locales anticipées et de la création d’emplois, le projet de Total Océan se présente comme une opportunité de mettre en œuvre un programme de gestion durable du troupeau de phoques gris assurant l’utilisation de la ressource à des fins alimentaires, pharmaceutiques et socioéconomiques.
Il est possible et nécessaire de réviser le programme éducatif de même que le plan de conservation de l’Île Brion. Il faut entreprendre rapidement une analyse objective de la situation, qui pourrait d’ailleurs inclure une consultation citoyenne dans l’archipel. Il serait regrettable, voire odieux, que les élus et les fonctionnaires de Québec imposent leurs visées sans ouvrir le débat, localement surtout. Des lobbys écologistes ont fermé la porte à toute discussion, arguant pour l’essentiel qu’on ne touche pas à une réserve écologique. Cette intransigeance est d’autant plus regrettable quand elle s’accompagne de commentaires à l’effet qu’il y a bien d’autres endroits où chasser le phoque dans le golfe, trahissant une flagrante ignorance du dossier. Il ne faut surtout pas sombrer dans un processus d’interdiction de la chasse qui reposerait sur l’image, la sensiblerie et la désinformation comme cela a été le cas pour la chasse au blanchon. Dans le cas précis de l’Ile Brion, il faut sortir de la logique des cibles internationales à atteindre en matière de protection pour regarder objectivement la réalité des faits. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme, dit-on. Il en est de même en matière de protection environnementale. Si les règles de conservation de la réserve écologique provoquent aujourd’hui des effets négatifs sur l’écosystème, il faudra soit les amender, soit modifier les contours du territoire protégé. Le gouvernement ne peut plus faire l’économie d’une analyse approfondie du dossier.
Des modalités à revoir
Avec un peu d’ouverture d’esprit, d’effort et de bonne volonté, il est possible de dégager des pistes de solutions permettant d’ajuster les modalités de gestion du territoire de l’île Brion à la réalité d’aujourd’hui. Il est impératif de concilier les objectifs de conservation et une chasse aux phoques gris durable et contrôlée, incluant l’utilisation intégrale de l’animal et une saine gestion des résidus. À défaut, cela risque d’envoyer un très mauvais signal aux pêcheurs et autres intervenants qui cultivent une méfiance envers des projets comme celui d’une aire marine protégée autour des Îles. Pour l’utilisation durable, certes, mais contre la dépossession.