Lors de sa plus récente séance publique, le conseil municipal a fait part de son intention de reporter la révision obligatoire du rôle d’évaluation dont l’entrée en vigueur est prévue en 2017. Cette initiative, aussi surprenante qu’inédite, laisse perplexe à bien des égards.
Selon les propos du maire repris par la presse locale, la municipalité estime que le régime actuel entraîne des iniquités et cause préjudice aux citoyens. Les contribuables qui ont connu parfois des augmentations subites de la valeur de leur propriété, et une hausse conséquente de leur compte de taxes, savent de quoi il s’agit. Or, rien ne permet de croire que le report de la révision permettra de corriger quoi que ce soit à court terme. Rien n’empêche d’ailleurs la municipalité d’entamer des pourparlers avec le ministère, sans pour autant se soustraire à ses obligations légales. Au mieux, si le nouveau rôle d’évaluation révélait des aberrations, ou suscitait la critique, cela permettrait au conseil municipal d’étoffer son argumentaire. À moins que ce soit justement la critique, ou le résultat du rôle d’évaluation lui-même, que l’on souhaite reporter dans le temps ?
À quoi sert le rôle d’évaluation
C’est la Loi sur la fiscalité municipale qui oblige les municipalités à procéder à l’inventaire des immeubles de leur territoire, d’en faire l’évaluation sur une même base et à la même date. Le document, produit par une firme d’experts évaluateurs agréés, sert à répartir la charge fiscale municipale entre les contribuables. Le conseil municipal calcule donc les sommes requises pour l’administration et la livraison des services municipaux et il répartit cette charge entre les contribuables selon un taux applicable pour chaque tranche de 100$ d’évaluation.
Pour refléter les fluctuations du marché immobilier, le rôle d’évaluation est révisé aux trois ans. En clair, les transactions immobilières dans votre voisinage et les prix pratiqués indiqueront la valeur des maisons du secteur, selon la loi de l’offre et de la demande. En théorie, selon l’état du marché, cela peut entraîner la hausse comme la baisse de la valeur de votre propriété.
Ni unique aux Îles, ni nouveau
Dans la plupart des municipalités du Québec, le dépôt d’un nouveau rôle d’évaluation suscite la grogne, parfois la colère des citoyens. Cela se produit à Montréal comme à Québec, dans les Laurentides comme aux Îles-de-la-Madeleine. Dans un monde idéal, si la valeur globale des propriétés s’accroit de 5 à 10%, la municipalité n’a qu’à réduire son taux de taxation dans les mêmes proportions, et personne n’y voit rien à redire. Or, ici comme ailleurs, le marché immobilier fluctue d’un secteur à l’autre. Sur une période de 3 ans, si les maisons se vendent bien à Gros-Cap, il peut en être tout autrement à Dune-du-Sud. Le taux de taxation uniforme, même si on le réduit globalement, entraînera nécessairement une hausse de taxe inégale selon les secteurs. Cela s’est produit régulièrement ces dernières années. Avant même la fusion municipale, la vigueur du marché commercial avait provoqué des hausses aussi inégales que spectaculaires à Cap-aux-Meules à la fin des années 1990. La croissance de la villégiature a eu le même effet dans certains secteurs de l’archipel ces dernières années. Cela se produit aussi à Tremblant, en Estrie et dans la majorité des localités québécoises où la villégiature côtoie les secteurs résidentiels. Aussi imparfaites soient-elles, les règles qui régissent l’évaluation sont applicables partout au Québec et produisent sensiblement les mêmes effets.
Ce qu’on oublie souvent, d’ailleurs, c’est que de trois ans en trois ans, la hausse de valeurs des maisons a tendance à s’autoréguler un tant soit peu d’un village à l’autre, naturellement, en fonction de l’état du marché immobilier.
Le système est certes perfectible, mais comment ? Quel est le plan de match de la municipalité? Que propose-t-on? Faire modifier la Loi sur la fiscalité municipale nécessiterait un vaste mouvement des municipalités, et surtout, une formule alternative. Les unions municipales ont souvent débattu de la question, mais personne n’a trouvé de solution parfaite, ni même meilleure que la formule actuelle. Se soustraire à la loi ? Obtenir un aménagement particulier ? On voit mal en quoi l’insularité deviendrait un facteur dans l’application d’une formule basée sur la loi du marché.
Poursuivre l’exercice
En attendant, il ne faut pas négliger l’importance de la révision du rôle en matière d’information sur la conjoncture. Le marché immobilier reflète l’état de l’économie. On sait déjà que la construction résidentielle est au plus bas, tandis que selon des observateurs, les maisons ne se vendent plus, ou sinon à rabais. Si cela s’avère, l’évaluation entamerait un cycle de décroissance, résultant en une baisse de l’assiette fiscale municipale. Pour maintenir ses revenus, la municipalité devrait donc rehausser le taux de taxes afin de compenser la stagnation de la valeur des propriétés. Si l’augmentation de la valeur des propriétés, associée à une certaine spéculation, était décriée depuis des années, l’effondrement du marché serait bien pire.
Pour la municipalité, cela entraînerait aussi un exercice budgétaire périlleux, six mois avant les élections municipales. La révision du rôle doit cependant faire fi de toutes considérations politiques et aller de l’avant pour nous donner l’heure juste. L’évaluation municipale et l’accès à cette information pour tous répondent d’ailleurs à une nécessité de transparence prescrite dans la loi.
Suite à un appel d’offres, la municipalité a accordé à la firme Servitech, en janvier 2014, le mandat de l’évaluation foncière, sa mise à jour en continu et la révision triennale, pour une durée de 6 ans. Un contrat d’une valeur de 2,8 millions de dollars, ce qui paraît certes appréciable, mais qui se situe dans les prix du marché. La révision du rôle pour 2017 est d’ailleurs déjà entamée et doit se poursuivre. Le ministère des Affaires municipales doit faire preuve d’ouverture et accepter la discussion sur les effets parfois pervers de la formule actuelle, sans pour autant suspendre les procédures régulières de révision. Ce chantier de révision de la loi sur la fiscalité, si la municipalité souhaite s’y investir, en est un de très longue haleine.