Contre toute attente, le ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, a rejeté du revers de la main la demande de prolongement de la piste de Havre-aux-Maisons lors de son passage dans l’archipel mardi. Il s’agit d’une décision politique lourde de sens en matière de développement économique et d’une gifle magistrale aux représentants de la communauté madelinienne.
Sa visite, grandement attendue, avait suscité l’espoir d’un déblocage du dossier de l’allongement de la piste, après 25 ans de tergiversations. Devant l’unanimité des intervenants locaux, on anticipait un geste d’ouverture du ministre Garneau, ne serait-ce que la réalisation d’une étude d’opportunité ou l’engagement ministériel à regarder le dossier de près. Au contraire, Marc Garneau a refermé la porte à double tour, répétant ce que les fonctionnaires de Transport Canada avaient dit avant lui : la piste est sécuritaire et répond aux besoins actuels.
La poule et l’oeuf
«S’il y a des propositions concrètes pour de plus grands appareils qui ont besoin d’une piste plus longue, j’aimerais qu’on m’en parle,» a-t-il dit. Cette déclaration rappelle vaguement celle du ministre des Transports de 2005, le regretté Jean Lapierre, qui avait ainsi répondu aux demandes municipales pour une traverse hivernale : «Prouvez-moi que ce sera rentable.»
Le ministre Garneau sait très bien qu’il est tout aussi impossible d’obtenir l’engagement des compagnies aériennes à desservir l’aéroport des Îles avec des appareils trop grands pour la piste actuelle que de rentabiliser en hiver un traversier déficitaire sur une base annuelle. Dans les deux cas, il s’agit de faire ou non un choix politique porteur d’une vision d’avenir. Allonger la piste, ce n’est pas seulement améliorer les conditions de fiabilité et de sécurité actuelles de l’aéroport, mais c’est surtout doter l’archipel d’un levier de développement socio-économique majeur, particulièrement en tourisme.
Dire qu’il faut avoir de plus gros avions pour justifier l’allongement de la piste est ridicule. Rien à voir avec le dilemme de la poule et de l’œuf. Quoi qu’on en dise, ce sont les centaines de millions de dollars investis à l’aéroport Jean-Lesage qui ont généré les nouvelles liaisons aériennes et la hausse faramineuse du trafic aérien, et non l’inverse. Prétendre le contraire relève du mépris pour l’intelligence.
Ratage politique
Sur le plan politique, la visite aux Îles du ministre est un ratage complet. L’entourage ministériel ne pouvait ignorer les attentes des intervenants et de la population qui faisaient de l’allongement de la piste l’enjeu clé de sa visite dans l’archipel. Même la presse nationale y avait fait écho. Le travail politique d’un élu et de son entourage consiste en grande partie à gérer les attentes. Les mauvais signaux précèdent les mauvaises nouvelles, les ministres se déplacent pour les grandes annonces. Pour le ministre Garneau, faire un tel déplacement aux Îles pour saboter l’espoir d’une communauté relève au mieux d’un calcul politique douteux, sinon d’une singulière arrogance. Les investissements annoncés à la maintenance régulière des actifs fédéraux dans l’archipel n’y changent rien.
Le refus du ministre Garneau de donner audience au maire Lapierre à Ottawa n’augurait certes rien de bon. Or, les déclarations de la députée Diane Lebouthillier signifiant la nécessité d’une étude laissaient présager qu’Ottawa ferait un pas dans la bonne direction.
Tous perdants
Malgré le sourire de circonstance sur les photos officielles prises avec le ministre, les députés fédéral et provincial des Îles de même que le maire essuient une rebuffade retentissante. Parmi ceux-ci, c’est sans doute la députée et ministre Diane Lebouthillier qui en ressort la plus amochée. Celle qui a fait de l’allongement de la piste d’atterrissage une promesse électorale décrivait encore ce projet comme «un enjeu économique majeur» pour l’archipel en mars dernier. Elle a certes fait un pas de côté en ajoutant qu’il s’agissait d’un projet qu’elle ne pourrait vraisemblablement pas réaliser dans un premier mandat. L’idée d’une étude devenait dès lors plutôt commode pour gagner du temps. La décision de son collègue de fermer le dossier à double tour prouve aujourd’hui que son engagement électoral ne liait aucunement le parti politique de Justin Trudeau. Pis encore, le refus de Marc Garneau d’entrouvrir la porte démontre que le travail politique n’a pas été fait, ou qu’il a échoué.
Quant à l’influence du député provincial Germain Chevarie, qui avait lui aussi fait du prolongement de la piste un enjeu personnel malgré qu’il soit de juridiction fédérale, force est d’admettre que les résultats sont décevants.
Cela étant, le plus grand perdant sur le plan politique s’avère le maire Jonathan Lapierre, qui a fait de ce dossier son principal cheval de bataille des derniers mois. Sur le plan stratégique, on peut penser que ses déclarations sur l’urgence d’intervenir et son insistance sur les questions de sécurité auront desservi la cause. D’ailleurs, une admission de la part du ministre des Transports que les conditions de la piste de l’aéroport posent une menace à la sécurité des passagers aurait été irresponsable. Il faudra ajuster l’argumentaire.
Malgré le refus du ministre, et un gouvernement en tout début de mandat, les intervenants locaux ne peuvent baisser les bras. Ils devront trouver le moyen de faire progresser le dossier. Quoi qu’en dira le ministre Garneau, l’allongement de la piste demeurera un enjeu de développement socio-économique aussi important pour les Îles que ne l’est… le programme spatial canadien pour la science au pays.