L’appui du gouvernement du Québec au projet de Total Océan, annoncé cette semaine, ravive l’espoir d’établir enfin aux Îles une véritable industrie du loup-marin. Bien que la route demeure parsemée d’obstacles, l’ouverture dès l’automne d’une usine de traitement constitue un point de départ significatif.
Que le projet se qualifie aux programmes d’aide normés de l’État est bien sûr une excellente nouvelle. Mais il faut surtout reconnaître l’audace des investisseurs d’injecter plus de deux millions de dollars dans la relance d’une industrie aussi moribonde et malaimée. Rappelons que le traitement commercial des peaux de loup-marin par la firme Tamasu a cessé aux Îles en 2007. Ce sont ses anciens équipements, remis à neufs, qui serviront au dégraissage des peaux de la nouvelle entreprise. On parle de la création d’une dizaine d’emplois.
Utilisation intégrale
Le projet de Total Océan consiste à mettre en place une usine pilote de dégraissage des peaux, puis d’extraction et de purification de l’huile. L’apport de l’entreprise de chimie fine Silicycle, de Québec, permet notamment d’entrevoir l’exploitation des riches acides gras du loup-marin. La firme spécialisée dans la production de gels de silice pour l’industrie pharmaceutique souhaite en effet appliquer l’expertise technique qu’elle a développée depuis 20 ans à l’extraction des omégas-3, dont on vante les bienfaits sur la santé depuis des années.
Ce n’est pas la première fois que l’on tente de développer l’exploitation du phoque à des fins biomédicales. On se souviendra notamment des études menées par un chirurgien grec pour le compte de Tamasu sur l’utilisation des valves de cœur de loup-marin en cardiologie. Rempli de promesses, le projet a avorté en 2012 faute de financement, après que le chercheur eut contredit ses propres conclusions de recherche.
Ce qui semble a priori distinguer projet actuel, et qui constitue un facteur incontournable de succès, c’est l’utilisation intégrale de l’animal. En effet, l’objectif n’est plus, comme trop souvent dans le passé, de commercialiser la fourrure sans tirer profit du gras, ou d’extraire les omégas-3 de l’huile en négligeant le marché de la viande. En ce qui concerne la viande, le travail inlassable de la Boucherie Côte à Côte pour l’apprêter et en promouvoir la consommation est exemplaire. Aussi, la transformation et la valorisation de toutes les parties exploitables du loup-marin constitue non seulement une avenue susceptible de maximiser la rentabilité de l’entreprise, mais elle est aujourd’hui devenue une condition sine qua non d’acceptabilité sociale et environnementale. Dans un dossier aussi controversé que celui de la chasse aux phoques, il s’agit d’une prémisse de base avec laquelle il faut désormais composer.
Mise en marché
Surtout que les marchés internationaux sont encore frileux, sinon carrément fermés à l’importation des produits du phoque comme aux États-Unis et en Europe. Les clients les mieux informés savent pourtant que les pratiques de chasse des Madelinots sont aujourd’hui irréprochables. Il n’en demeure pas moins que le puissant message de désinformation des groupes animalistes pose une menace constante qui pèse sur l’industrie depuis le milieu des années 1960.
Si l’espoir renaît aujourd’hui de voir la ressource phoque générer un jour des emplois durables dans la communauté, les Madelinots le doivent en grande partie à l’Association des chasseurs de phoques qui a tenu le flambeau ces dernières années. Ses dirigeants ont non seulement répliqué coup pour coup à la propagande anti-chasse et défendu la chasse face aux diverses procédures d’embargos commerciaux, mais ils ont aussi identifié et exploré plusieurs pistes de développement pour la relance de l’industrie.
À cet égard, l’initiative récente de former la Livelihood International, une organisation vouée à défendre l’usage légitime et durable des ressources naturelles au sein des petites communautés rurales et insulaires à travers le monde, est de bon augure. Les Madelinots, comme les communautés du Grand Nord, peuvent légitimement revendiquer leur droit ancestral d’exploiter les ressources naturelles de leur milieu dans une perspective de développement durable. Il serait certes intéressant de voir diverses communautés de par le monde unies autour de ce thème commun, avec les moyens et les ressources nécessaires, faire face aux lobbys animalistes qui privilégient le bien-être de l’animal – et celui de leur organisation – à celui des communautés humaines.
Le défi de l’approvisionnement
Entretemps, la question de l’approvisionnement en matière première demeure la pierre angulaire du développement de l’industrie du loup-marin. C’est aussi un facteur d’incertitude quant au projet de Total Ocean. Malgré l’existence d’une population surabondante de phoque gris, une espèce qui prolifère sans prédateurs, les conditions de chasse sont encore l’objet de discussions.
On estime que le troupeau est passé de 5000 bêtes à plusieurs centaines de milliers ces dernières années, ce qui entraine un déséquilibre écologique évident. Pourtant, la chasse au phoque gris sur les côtes de l’île Brion, où la ressource est abondante, demeure interdite en raison du statut de réserve écologique. Pour permettre le développement de l’industrie, il faudra trouver le moyen de concilier les besoins d’approvisionnement et le statut de réserve écologique de l’Île Brion où l’on trouve la plus importante colonie de phoques gris du golfe Saint-Laurent.