Drôle d’évaluation

La démarche entreprise par la municipalité des îles de se soustraire à la loi sur la fiscalité municipale pour reporter d’un an le rôle d’évaluation a avorté. Pour difficile à comprendre et mal avisée qu’elle fût au départ, cette résolution apparaît aujourd’hui risible, voire inquiétante à certains égards.

On se rappellera qu’à sa rencontre régulière du mois de mai, le conseil municipal a suspendu les travaux de la firme d’évaluation, après avoir demandé au ministre un report d’un an de l’exercice triennal auquel il est contraint par la loi. Jugeant la méthode d’évaluation inéquitable, les élus disaient souhaiter une méthode qui convienne davantage à la réalité des Îles.

Une réponse du ministre ?

On ne sait trop si le ministre Martin Coiteux a répondu officiellement, comme il se doit, à la requête municipale. Dans un impromptu de presse tenu lors de son passage aux Îles en juillet, le ministre a erronément prétendu que c’était une décision qui appartenait à la municipalité. Quelqu’un au ministère lui aura sûrement fait comprendre que la loi sur la fiscalité municipale devait s’appliquer sur tout le territoire du Québec. Accepter la thèse de la municipalité des Îles aurait légitimé la contestation de la loi. Le signal lancé aux autres municipalités eut été négatif et irresponsable, une confirmation que le système était inadéquat.

Le nouveau ministre des Affaires municipales l’ignorait peut-être, mais un grand chantier de modernisation de l’évaluation municipale vient tout juste d’être achevé après des années de travail pour mieux répondre aux revendications des municipalités.

Coup d’épée dans l’eau

Du côté municipal, on affirme aujourd’hui que le geste posé en mai aura permis de poser des questions et d’obtenir des réponses. Or, on pouvait très bien entreprendre un questionnement et des représentations politiques sans suspendre les travaux de l’évaluateur. Surtout que la municipalité semble aujourd’hui satisfaite du résultat. La démarche n’aura été qu’un coup d’épée dans l’eau.

Dans bien des régions du Québec, en particulier dans les municipalités de villégiature, le dépôt d’un nouveau rôle d’évaluation suscite parfois le tollé. Ce sont les écarts d’augmentation de la valeur des propriétés d’un secteur à l’autre qui motivent la critique des contribuables, laquelle est souvent relayée par le conseil municipal au gouvernement. Il n’y a pourtant là rien d’inéquitable puisqu’il s’agit bêtement d’un reflet des conditions du marché immobilier. Devant une telle situation, le seul pouvoir municipal se situe dans la modulation du taux d’imposition pour éviter de surtaxer ses citoyens et le contrôle de ses dépenses.

Il est difficile de saisir les véritables motifs de la vaine résolution municipale, votée avant même d’obtenir les résultats de l’exercice. La municipalité ne pouvait ignorer que les problèmes de disparités d’un secteur à l’autre ont été reconnus par le gouvernement, qui offre aujourd’hui des crédits d’impôt pour en juguler les effets pervers.

Spécificité insulaire ?

Dans sa résolution, la municipalité soutient rechercher une formule qui corresponde davantage à la réalité locale. En faisant ainsi cavalier seul, on peut penser que les élus cherchaient un aménagement particulier, sous l’angle de l’insularité. Il est particulièrement ironique de constater qu’à la lumière des résultats de la révision du rôle d’évaluation, la méthode semble désormais satisfaire les élus. Il serait par ailleurs fallacieux d’affirmer aujourd’hui que la municipalité a voulu lancer un mouvement collectif au sein du monde municipal après avoir revendiqué un aménagement local spécifique.

Cela devrait nous mettre en garde contre un usage abusif et inapproprié de l’insularité comme prétexte et argument de revendication. Si l’on en vient à confondre la démonstration des particularités insulaires avec la quête d’un traitement de faveur, le concept d’insularité sera galvaudé et n’aura plus aucun sens.

Rappelons que la révision du rôle d’évaluation triennale permet de s’assurer que le poids des services municipaux soit réparti de façon équitable en fonction de la valeur de l’actif immobilier de chaque contribuable. Cette règle s’applique avec la même équité partout au Québec et dans d’autres juridictions.

Question de transparence

Une grande vertu du processus de mise à jour de l’évaluation municipale consiste à s’assurer que la démarche soit transparente et que l’information soit publique et connue de tous. Chacun peut d’ailleurs vérifier dès aujourd’hui les variations de valeur de sa propriété, et de celles de tous ses voisins, par un simple clic sur l’internet (www.gonet.ca/serviceLigne.html).

Sous l’angle de la transparence, la manœuvre municipale laisse songeur. En mai, la résolution adoptée par le conseil et rapportée par les médias avait pour effet de suspendre les travaux. La déclaration du ministre Coiteux à la presse locale, en juillet, laissait croire à un accord de sa part. Trois assemblées publiques mensuelles du conseil municipal se succèdent ensuite sans que les citoyens n’obtiennent quelque suivi que ce soit sur le dossier en suspens. Puis, coup de théâtre, un avis publié dans l’hebdomadaire local annonce le dépôt du rapport final de la firme Servitech.

Pourquoi faire preuve d’une telle opacité ? Au surplus, l’évaluateur dit avoir été autorisé à reprendre le travail après trois semaines et demie d’interruption, soit dès le mois de juin. Que faut-il en déduire ?

Valeurs en baisse

En consultant le rapport global de l’évaluateur, on constate que la valeur des maisons stagne. Si on exclut les immeubles commerciaux et institutionnels, la valeur des propriétés est en baisse de 0,34%. Ce n’est pas une très bonne nouvelle, surtout si vous êtes vendeur.

Après des hausses de 7 % à 30% de la valeur des immeubles aux Îles depuis 15 ans, la croissance est négative. On aurait tort de s’en réjouir, car c’est notre patrimoine familial qui s’étiole, la valeur de l’actif souvent le plus important des citoyens qui régresse.

L’immobilier offre un reflet des conditions socio-économiques du milieu. L’Institut de la statistique confirme en outre une baisse de la population de l’archipel de 10% depuis 5 ans. La chute démographique est l’un des principaux indices de dévitalisation d’une communauté, avec le taux de chômage.

Les municipalités et villes en croissance décrivent l’augmentation de la valeur des propriétés comme un signe de l’attrait qu’elles exercent chez les familles, un signe de vitalité économique et de la qualité des services publics offerts. Gardons-nous d’applaudir.capture-decran-2016-10-07-09-22-23

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