Un sapin pour Noël

Le gouvernement de Philippe Couillard a finalement forcé l’adoption de la première loi québécoise sur les hydrocarbures, dans la nuit de vendredi à samedi dernier, par la déplorable pratique du bâillon. Cette procédure, qui a pour effet de suspendre les règles démocratiques habituelles de l’Assemblée nationale, renforce l’impression déjà fort répandue que les Québécois se font passer un sapin.

Nous retiendrons de cette loi qu’elle accorde aux compagnies pétrolières le pouvoir d’expropriation à des fins d’exploitation, tout en n’imposant aucune restriction à la controversée fracturation hydraulique.

Le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, a eu beau plaider «l’urgence»  d’agir après des mois de consultations et 140 heures d’études en commission parlementaire, personne n’est dupe. La seule urgence des libéraux consiste à clore le débat au plus tôt. Surtout si la session parlementaire devait être prorogée, entrainant aussitôt la mort au feuilleton de tous les projets de loi à l’étude.

Telle qu’adoptée, la loi 106 offre un cadre réglementaire favorable au développement d’une industrie pétrolière qui, toute évidence, ne répond pas au critère d’acceptabilité sociale dont le gouvernement se gargarise pourtant. Nous ne sommes d’ailleurs pas à une contradiction près dans ce dossier.

Contradictions

La vaste opposition manifestée envers le projet de loi 106 par les groupes écologistes, les partis d’opposition, les municipalités et de nombreux citoyens tient au caractère intrinsèquement contradictoire de ses principaux objectifs. Le texte de loi, à travers ses différents chapitres, prévoit à la fois la réduction de la dépendance du Québec au pétrole, par le biais de la transition énergétique, tout en favorisant l’essor de l’industrie pétrolière. Ce n’est donc pas par hasard, ou par mauvaise foi, que la majorité des intervenants ont réclamé d’entrée de jeu au gouvernement de scinder le projet de loi. Mais l’approche du gouvernement n’était pas le fruit d’une distraction passagère, elle ne découlait pas d’un épisode fortuit de dissonance cognitive. C’était bien au contraire une regrettable stratégie politique pour dorer la pilule, en associant artificiellement les deux concepts mutuellement exclusifs de la pétrodépendance et de la décarbonisation de l’économie. Et on se demande ensuite ce qui fait que le degré de cynisme envers les dirigeants politiques atteint des sommets…

Un environnement économique favorable

En justifiant l’adoption en catastrophe de la loi 106, le premier ministre Couillard a indiqué que l’industrie pétrolière aurait certes préféré qu’il n’y ait pas d’encadrement, «qu’on laisse le monde du Far West, qu’on puisse faire ce qu’on veut». Un peu plus et il s’autoproclamait une fois de plus comme sauveur, celui de l’environnement ! Sauf qu’il n’y a rien de plus faux. L’industrie pétrolière au Québec ne cesse au contraire de réclamer depuis des années un cadre législatif clair créant un environnement d’affaires et d’investissements favorables. La réaction enthousiaste des gens de l’industrie, dont Pétrolia au premier chef, le confirme bien.

Il faut noter que les permis d’exploration déjà émis bénéficient d’un droit acquis, comme dans les basses terres du Saint-Laurent et un peu partout en Gaspésie, ce qui inquiète bien des agriculteurs, des citoyens et les élus municipaux de plusieurs régions sous «claim» par les prospecteurs pétroliers. L’absence de balises quant à la fracturation hydraulique suscite toujours les craintes quant à la préservation des sources d’alimentation en eau potable municipales et les cours d’eau. Le rapport de l’Agence de protection environnementale américaine, déposé mardi, n’aura pas de quoi apaiser les inquiétudes. Le rapport fournit des preuves scientifiques que la fracturation hydraulique peut avoir un impact néfaste sur les ressources en eau potable.

Et aux Îles ?

En marge de l’adoption de la loi 106, on a appris que les droits d’exploration que détenait la pétrolière Gastem sur l’ensemble de l’archipel seraient devenus caducs plus tôt cet automne. Si l’information s’avère, cela ne signifie pas que les Îles-de-la-Madeleine seront désormais protégées contre les forages, conventionnels ou par fracturation hydraulique. Rien n’interdit à quelque entreprise que ce soit, d’ici ou d’ailleurs, de réclamer à son tour les droits d’exploration.

Face au tollé suscité par la prépondérance des droits d’exploration sur les schémas d’aménagement municipaux, le gouvernement aura au moins inscrit un amendement de dernière heure à la loi 106 permettant aux municipalités d’identifier des zones d’exclusion avant l’émission de nouveaux droits d’exploration. Comme c’est le cas pour la loi sur les mines, on devine que ces zones d’exclusion seront l’exception qui confirme la règle et que c’est le ministre qui jugera du bien-fondé des orientations municipales.

Dans ce contexte, la municipalité des Îles ferait bien de se mettre rapidement au travail pour identifier les zones d’exclusion lui permettant notamment de protéger les sources d’approvisionnement en eau potable et les plans d’eau. L’apport essentiel de la société civile à ce processus devrait passer par la relance des travaux de la table des hydrocarbures, qu’on dit moribonde.

Les conclusions du BAPE sur les effets de l’exploitation des ressources naturelles sur l’eau potable aux Îles constituent une solide base de travail. On peut cependant déplorer que ses recommandations soient restées lettre morte, trois ans après leur dépôt au ministre David Heurtel, demeurant ainsi sans effet.

Dans le Golfe

Quant à l’exploration pétrolière dans le golfe du Saint-Laurent, rien ne semble plus empêcher la levée du moratoire dès que les lois miroirs des deux paliers de gouvernements auront été adoptées.

Le ministre Arcand a d’ailleurs déjà invoqué l’urgence de procéder à des forages dans la partie québécoise du Golfe pour éviter que Terre-Neuve ne siphonne nos richesses… On devrait d’ailleurs en savoir davantage sur le dossier très bientôt alors que l’Office Canada-Terre-Neuve et Labrador sur les hydrocarbures extracôtiers pourrait émettre une nouvelle licence d’exploration à la pétrolière Corridor Resources. La Coalition Saint-Laurent mène campagne contre l’émission d’un nouveau permis à l’entreprise néo-écossaise.capture-decran-2016-09-09-09-13-38

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