Au moment où Anticosti, Arvida et le Fjord du Saguenay déposent avec fierté et confiance leur candidature au titre de site du patrimoine mondial de l’UNESCO, la Municipalité des Îles jette son projet aux oubliettes. Devant le défi important, mais mobilisateur que représentait l’élaboration d’un dossier de candidature, on a décidé de baisser les bras. Décevant!
Le contraste avec l’effervescence et le battage médiatique autour des dossiers de candidatures des trois régions du Québec fait pâlir d’envie et rougir de gêne. Les représentants politiques de chaque dossier affirment haut et fort que leur région recèle un caractère unique, une valeur universelle à l’échelle de l’humanité. La compétition est forte dit-on, mais chacun vise le podium. Pendant ce temps, aux Îles, on déclare forfait avant la course. «Malgré le fait qu’on a d’extrêmement belles dunes de sable, a déclaré le maire des îles sur les ondes de Radio-Canada, la formation géologique des Îles et tout, ce n’est pas unique. Y’a d’autres îles qui ont du sable tout aussi beau qu’ici.» Euh… Pardon ?
À reculons
Le manque d’enthousiasme de la municipalité pour le dossier était palpable depuis des mois. À la demande d’une citoyenne, en octobre 2014, le conseil municipal a adopté un appui de principe à l’idée sans toutefois s’engager à y travailler. Sans conviction ni enthousiasme, la résolution semblait adoptée à reculons. Deux longues années ont ainsi été gaspillées. L’invitation de la ministre Catherine McKenna à inscrire les sites exceptionnels du pays sur la liste indicative du Canada, en août dernier, a relancé l’intérêt des citoyens et accentué la pression sur la municipalité. Pendant que les promoteurs des autres sites mettaient le pied sur l’accélérateur, aux Îles, une étude comparative entre le statut de site du patrimoine et celui de réserve de la biosphère était commandée. Sans surprise, à quelques jours de la date d’échéance des mises en candidature, la municipalité met le dernier clou dans le cercueil du dossier et dit vouloir plutôt être nommée réserve de la biosphère.
Défaitisme
L’étude sur laquelle s’appuie la municipalité n’offre pourtant pas l’argumentaire solide auquel on aurait pu s’attendre, justifiant une décision ou une autre. Le rapport, dont l’essentiel tient sur une quinzaine de pages, consiste en une comparaison sommaire entre les statuts de site du patrimoine mondial et celui de réserve de la biosphère de l’UNESCO.
En guise de conclusion, l’auteur souligne tout au plus qu’il faut savoir évaluer les chances d’obtenir le statut de site du patrimoine et, en cas d’échec, de savoir gérer la déception. Il affirme qu’il faudrait pouvoir définir la valeur universelle exceptionnelle du territoire et mentionne que le délai est court.
Il transpire néanmoins un certain défaitisme quant à l’unicité des Îles à l’échelle de la planète et, conséquemment, quant aux chances de succès de l’exercice. Ce n’était vraisemblablement pas le mandat du consultant, mais ce qu’il manque cruellement au rapport, c’est la caractérisation de l’archipel sur le plan culturel et environnemental, une analyse des attributs qui mérite l’attention dans l’archipel ou, à tout le moins, une analyse des hypothèses sur ce qui aurait pu être mis de l’avant dans un dossier de candidature.
C’est sans doute cette lacune qui a conduit le maire des Îles à évoquer maladroitement les pyramides d’Égypte ou la Grande Muraille de Chine pour mieux écarter le dossier. En plus de déprécier inutilement l’archipel, ce parallèle ne tient pas la route en fonction des critères même de l’UNESCO.
Les critères
Les pyramides d’Égypte, comme la Grande muraille de Chine, sont des exemples de chefs-d’œuvre du génie créateur humain que très peu des 1052 sites reconnus au patrimoine mondial de l’UNESCO peuvent mettre de l’avant. Le chef d’œuvre du génie, ce n’est qu’un seul des 10 critères que l’on peut évoquer pour mousser la candidature d’un site. De façon plus réaliste, et moins caricaturale, pensons aux critères qui ont permis au Vieux-Québec, au Vieux Lunenburg ou encore au paysage de Grand-Pré de se démarquer. Des critères qui misent sur l’unicité et l’histoire de l’ensemble architectural, l’authenticité, l’interaction entre l’homme et le territoire ou la mer qui l’entoure, ou encore le lien entre le patrimoine matériel et la tradition, les croyances, la richesse culturelle d’une communauté ou d’un peuple. Ce sont aussi ces critères qu’évoquent les promoteurs du Vieux Arvida.
Vu sous cet angle, pourquoi ne pas avoir rigoureusement analysé le site historique de la Grave ou l’Île d’Entrée ? Pourquoi ignorer les richesses du patrimoine maritime des îles, de la présence des Mik’ mas – authentifiée par des découvertes archéologiques – jusqu’à la pêche industrielle des années 1950, en passant par l’arrivée des Acadiens de Miquelon au site que l’on surnomme encore aujourd’hui le berceau des Îles ? La valeur universelle des Îles ne tient-elle pas tout autant à la culture du peuple qui l’habite qu’aux attributs de son territoire ? Et si l’on voulait, comme à Anticosti ou au Fjord du Saguenay, faire reconnaître d’abord la splendeur de la nature, pourquoi ne pas se tourner vers l’Ile Brion, le Rocher aux oiseaux ou la Pointe-de-l’Est ? Des dizaines d’ouvrages et d’études démontrent pourtant les particularités de l’histoire, du patrimoine, de la géomorphologie et de l’environnement exceptionnel des Îles. Pourquoi ne pas les avoir au moins exploré ? Difficile de convaincre sans argument et sans être soi-même convaincu.
Une réserve sur la réserve
La municipalité annonce comme un pis-aller qu’elle ira de l’avant avec l’élaboration d’une demande de reconnaissance des Îles comme réserve de la biosphère de l’UNESCO. Ce statut n’a hélas rien du prestige et des retombées qu’offrent une reconnaissance comme site du patrimoine mondial de l’UNESCO. En tout respect, qui sait que le Mont-Saint-Hilaire fait partie de ce réseau ?
La réserve de la biosphère est une démarche à saveur environnementale, certes louable, qui mise sur le développement durable et s’appuie sur l’existence d’aires protégées. En tenant compte des problématiques environnementales actuelles avec l’Ile Brion, la Pointe-de-l’Est et autres conflits d’usages, rien n’indique que cette voie sera davantage couronnée de succès.
