La faim justifie les moyens

L’organisme Entraide communautaire pourrait bientôt se retrouver à la rue, incapable de poursuivre sa mission en soutien aux personnes les plus vulnérables de l’archipel. Si une telle situation devait arriver, nos élus municipaux devront assumer leur part de responsabilité du funeste destin d’un organisme malheureusement essentiel dans notre milieu.

Les dirigeants d’Entraide communautaire ont appris, il y a quelques semaines, qu’ils devront se relocaliser d’ici le mois d’août, en raison de la vente imminente de l’immeuble Marguerite D’Youville à l’École de cirque. Surtout, ils disent n’avoir perçu aucune volonté municipale de leur venir en aide ou de les accompagner. Si la municipalité n’a, dans les faits, aucune obligation légale de soutenir un organisme comme la banque alimentaire, la responsabilité morale et politique n’en est pas moins évidente.

Un service essentiel, sous-financé

Établie à l’ancienne école Marguerite D’Youville depuis 11 ans, Entraide communautaire offre un dépannage alimentaire et une réponse à d’autres besoins primaires aux citoyens les plus mal pris. Elle offre aussi un service d’accueil, d’accompagnement et de référencement à une clientèle composée de familles monoparentales, de sans-emploi, de personnes victimes d’ennuis de santé ou du mauvais sort. Elle vient en aide à nos concitoyens sans revenus suffisants pour se nourrir convenablement. En hausse de plus 30% ces dernières années, le nombre de demandes d’aide de dernier recours se situent entre 500 et 600 annuellement.

Entraide communautaire reçoit un financement gouvernemental qui couvre moins du quart du seuil plancher de ses opérations. Le soutien de Centraide comme de plusieurs organismes et entreprises locales, de même que de nombreux bénévoles, lui permet de poursuivre sa mission. Sur le plan social et communautaire, on peut parler d’un service essentiel.

La hausse du coût du panier d’épicerie ces dernières années affecte non seulement les plus démunis, mais elle entraîne également une baisse dans les collectes des denrées dont Entraide communautaire a besoin. De nouvelles activités de financement ont permis de maintenir l’offre de service ces derniers mois.

Un loyer modique

Dans ce contexte, le très faible coût de loyer qu’exige la municipalité de la part d’Entraide communautaire pour ses locaux de l’immeuble Marguerite D’Youville correspond à une contribution financière sans laquelle l’organisme ne peut opérer. Dans l’immeuble rénové, l’espace qu’occupe Entraide communautaire pourrait coûter jusqu’à 2 000 $ par mois, contre un bail annuel de 2 000$ actuellement. Il est illusoire de penser que l’organisme d’aide aux plus démunis puisse se payer un tel loyer. De plus, la nouvelle mission de l’immeuble se tournera résolument vers la jeunesse alors qu’Entraide communautaire dessert un éventail de clientèle beaucoup plus vaste et diversifié. Il est tout aussi difficile d’imaginer qu’un propriétaire privé puisse offrir un espace locatif quelconque à Entraide communautaire pour un montant équivalent à son loyer actuel.

La décision municipale de céder l’ancienne école de Cap-aux-Meules à l’École de cirque n’est évidemment pas en cause. Le projet de transformer l’immeuble en un lieu d’apprentissage et d’exploration des arts circassiens pour des centaines de jeunes Madelinots enthousiastes mérite l’appui de toute la communauté.

Cela n’épargne pas pour autant les élus municipaux de la responsabilité de mesurer les impacts de la cession de l’immeuble, d’anticiper ses conséquences et de contribuer activement à trouver des solutions gagnantes pour toute la collectivité.

Double responsabilité municipale

La municipalité est en effet doublement responsable de la menace qui plane sur l’avenir des services d’aide alimentaire et de première nécessité aux Madelinots. D’une part, la décision municipale de se départir de l’immeuble pour le transformer à des fins d’activités jeunesse correspond à un avis d’éviction. Le projet est certes louable, répétons-le, mais les représentants de notre communauté insulaire ne peuvent se laver les mains des conséquences directes que cela risque d’entraîner.

Ce qui est plus troublant encore, c’est que la municipalité a ignoré l’offre d’achat d’un groupe d’organismes communautaires, dont Entraide communautaire, intéressé à acquérir l’ancien bureau municipal de L’Étang-du-Nord qu’occupait le service des loisirs. Rappelons que l’immeuble municipal a été mis en vente dans le contexte du réaménagement de la mairie de Cap-aux-Meules. Il aura fallu trois appels d’offres successifs à la municipalité pour finalement trouver preneur au printemps 2015. L’immeuble d’une valeur au rôle de 210 000$ a été cédé à un particulier pour un montant de 70 000$ au printemps 2015. Ce faisant, le conseil municipal a rejeté l’offre d’achat des organismes communautaires pour une somme nominale. La résolution municipale indique d’ailleurs que les élus ont pris cette décision après analyse de l’argumentaire déposé conjointement par Entraide communautaire, l’organisme famille L’Embellie et allaitement Sein-Pathique. On voudrait en savoir plus sur ce qui les a mené à une telle décision.

Le profit et la perte

Au départ, les élus souhaitaient certes réduire la facture de rénovation de la mairie en y appliquant le produit de la vente de l’immeuble de L’Étang-du-Nord. Or, on peut se questionner sur l’impact réel des 70 000$, le tiers de la valeur de l’immeuble, sur la réalisation du projet de 3 millions de dollars. Difficile aussi d’identifier en quoi cette décision aura permis de soulager le compte de taxes des contribuables.

La municipalité aurait très bien pu négocier de gré à gré avec Entraide communautaire et ses partenaires afin de trouver un arrangement acceptable pour les parties, comme cela semble être le cas actuellement avec l’École de cirque. Rien n’a filtré des discussions jusqu’ici, mais il serait pour le moins ironique que la municipalité leur cède maintenant l’immeuble Marguerite D’Youville pour la somme nominale d’un dollar.

Nul besoin d’une analyse très fine des dépenses municipales pour constater le caractère marginal du profit de la vente au privé de l’immeuble de l’Étang-du-Nord. Les pertes sociales, économiques et communautaires d’une interruption éventuelle des opérations de la banque alimentaire d’Entraide communautaire ou de l’organisme famille l’Embellie seraient beaucoup plus significatives pour la collectivité.

Ces organismes, qui vivent dans la précarité perpétuelle, ont besoin d’une écoute, du respect, du soutien et de l’accompagnement de la municipalité. Donnons-nous les moyens.

capture-decran-2017-02-10-15-40-45

 

Laisser un commentaire