La pénurie d’eau qui a frappé l’ensemble des résidents de l’ile de Cap-aux-Meules aura finalement créée plus de peur que de mal. Les 36 heures passées sans eau potable auront surtout permis de rappeler la vétusté et la vulnérabilité de nos réseaux d’aqueduc et l’importance d’y accorder toute la priorité.
Chacune des familles touchées par la pénurie d’eau potable lors d’une veille de tempête hivernale aura sans doute réalisé plus que jamais le caractère vital de l’eau sur nos vies. Pour ceux qui en avaient encore besoin, il s’agira d’un rappel de l’importance d’utiliser judicieusement cette ressource éminemment fragile, précieuse et irremplaçable. À l’hôpital, chez les personnes malades, âgées, vulnérables ou a mobilité réduite, on comprendra que l’interdiction d’utiliser l’eau pour une période indéterminée aura causé un préjudice encore plus grave et fait grimpé considérablement le degré d’anxiété.
Mesures d’urgence
Incapable de détecter rapidement la fuite majeure qui a pratiquement vidé le réservoir de 5 millions de litres d’eau de l’ile Centrale dimanche dernier, la municipalité a été contrainte de décréter les mesures d’urgence. Cette procédure, destinée à assurer la vie, la santé ou la sécurité des personnes a pu paraître démesurée, aux yeux de certains, par rapport à la situation. Ce décret était pourtant nécessaire pour au moins deux raisons fondamentales. D’une part, la municipalité s’est donné le pouvoir de réquisitionner l’eau disponible, de mobiliser les médias d’information, d’imposer des restrictions aux citoyens que ne prévoit pas la réglementation et, surtout, de se qualifier au programme d’aide financière de la Sécurité civile en cas de sinistre.
Dans des conditions difficiles, les employés municipaux auront heureusement réussi à identifier et colmater les fuites après plusieurs heures de recherche, d’appels à la collaboration du public et de travaux sur le terrain. Si le retour à la normale, ou presque, s’est finalement matérialisé dans la journée de mardi, on aurait tort de considérer le dossier clos. Au contraire, le problème, le vrai, demeure entier. Il s’agit de la vétusté de nos réseaux d’aqueduc.
Défaillances
Ce qu’il y a d’inédit dans le décret des mesures d’urgence de cette semaine, c’est qu’il découle non pas d’une catastrophe naturelle, mais bien d’un banal problème de tuyauterie. Parmi les 22 risques identifiés au plan de mesures d’urgence de la municipalité, on retrouve les ouragans et les pandémies, les radiations nucléaires, les tremblements de terre et les tsunamis. La pénurie d’eau potable y figure aussi, conséquence d’une contamination ou d’un épisode de sécheresse prolongé. En d’autres mots, les risques sont inédits ou imprévisibles, ce que les assureurs appelaient jadis, Act of God.
Ce qu’on doit retenir de l’événement de la semaine, c’est plutôt la défaillance récurrente du système d’aqueduc qui dessert 60% de la population de l’archipel (et non pas 80% comme l’ont clamé avec un certain sensationnalisme les médias nationaux). Quoi qu’on en dise, l’éclatement des conduites d’un réseau de distribution d’eau potable municipal vieux de plus de 50 ans, ce n’est pas tout à fait imprévisible, c’est le moins qu’on puisse dire. Rien ne distingue d’ailleurs fondamentalement les conditions climatiques de l’hiver 2017 des précédents, sinon que le poids des années. Les bris d’aqueduc sont plutôt courants, et tout indique que le phénomène ira en s’aggravant au cours des années à venir.
36 heures de trop
Devant un tel constat, certains contribuables auront tôt fait de pointer un doigt accusateur vers la municipalité. Ce serait cependant oublier les efforts considérables menés depuis 15 ans dans la mise aux normes du réseau, les campagnes de détection des fuites, le remplacement de centaines de mètres de conduites, le forage de puits, le programme d’économie d’eau potable et le resserrement de la réglementation.
Les critiques les plus virulents diront malgré tout que ce n’est pas assez, qu’il faut faire davantage. Ils demanderont des comptes… et ils auront raison. C’est en effet la première responsabilité d’une administration publique que de répondre de ses décisions auprès des contribuables. Dans le cas précis de la distribution d’eau potable, il y a non seulement obligation de moyens de la part des autorités municipales, mais il y a obligation de résultat. Il n’y a hélas pas d’excuse pour un système essentiel qui faillit.
Pour s’en convaincre, rappelons que les réserves d’eau ne servent pas qu’à l’alimentation et aux fonctions hygiéniques de base. Elles servent aussi à garantir en tout temps la sécurité des personnes et des biens en matière de lutte aux incendies. Le schéma de couverture de risques qu’a adopté la municipalité n’autorise aucune interruption de service, 24/7, 365 jours par année. À peu de chose près, l’ile de Cap-aux-Meules s’est retrouvée à découvert pendant une période d’une journée et demie. C’est n’est pas si long, mais pour les assureurs et leurs avocats, c’est 36 heures de trop. On ne peut que pousser un immense soupir de soulagement que rien ne se soit produit.
L’eau, la glace et l’avion
Dès le début de la pénurie, des commentaires enflammés sur les réseaux sociaux ont mis en opposition le projet de complexe sportif de 14,5 millions et les défaillances du réseau d’aqueduc. L’équation, certes simpliste, n’exprime pas moins la préoccupation légitime des contribuables pour une priorisation des projets d’investissements publics. Incidemment, pour les arénas, aucune dépense n’a été autorisée à ce jour par les contribuables qui pourront bientôt choisir de signer ou non le registre et donner ou non leur aval au projet.
Qu’importe la décision en matière de loisirs, une action rapide et résolue devra être menée en matière d’aqueduc. On ne peut en aucun temps se fier sur le nolisement d’avion pour pallier la vétusté du réseau. Aussi surréaliste et spectaculaire soit-elle, la livraison d’eau par avion aux frais du gouvernement ne peut faire oublier la réduction des investissements en matière d’infrastructures depuis 2014. Québec a aussi refusé de financer la construction d’un réservoir de 1400 m3 à Cap-aux-Meules, en 2008, pour mieux lutter contre les incendies et pallier d’éventuelle pénurie, justement. On a aussi rejeté le projet de bouclage des réseaux de Havre-aux-Maisons et de Cap-aux-Meules, en 2012, ce qui avait précisément pour objectif de mieux gérer les situations de pénurie.
C’est donc avec grande humilité que la municipalité et le gouvernement doivent procéder à un bilan de la pénurie, et travailler ensemble sur l’urgence de remettre les réseaux en état.
