Si j’avais un port, ça changerait ma vie…

Le port de Cap-aux-Meules est toujours à vendre. Selon un article du journal Le Devoir, publié la semaine dernière, il y a même un acheteur privé qui a signifié son intérêt auprès de Transport Canada. Cela à de quoi nous inquiéter.

Lors de la relance du processus de cession des ports fédéraux, à l’été 2015, un fort consensus local a été exprimé en faveur du maintien de ce port vital pour l’économie des Îles sous juridiction fédérale. Par défaut, pourvu qu’aucun acheteur ne se manifeste, on se disait bien que Transport Canada continuerait à jouer son rôle pour les années à venir. Même les élus fédéraux se faisaient rassurants, laissant entendre que le processus de désistement avorterait de lui-même, faute d’acheteur. Or, l’existence d’un acquéreur potentiel change radicalement la donne.

Si j’avais un port…

Apparemment, ni le gouvernement du Québec, ni la Municipalité des Îles, ni même la CTMA ne seraient l’interlocuteur actuel du gouvernement. Qui peut donc bien être ce mystérieux promoteur, vautré dans le fauteuil d’un bureau enfumé, les yeux rivés sur son écran d’ordinateur en sifflotant «Si j’avais un port, ça changerait ma vie…? Au fédéral, c’est motus et bouche cousue.

Ce rocambolesque scénario de prise de contrôle d’une infrastructure névralgique pour la communauté des Îles par des intérêts inconnus, et malveillants, serait à prendre avec le sourire s’il ne démontrait pas, par l’absurde, le processus vicié dans lequel nous nous retrouvons. Le gouvernement maintien un processus qui contredit les intentions exprimées par les élus de ce même gouvernement. Les fonctionnaires travaillent à la vente d’un actif fédéral dont les membres du cabinet ne veulent apparemment pas se départir. Plus contradictoire que cela, tu meurs… Hé! Ho! Y a-t-il un capitaine à bord?

Se faire rassurant

De son côté, le maire des Îles veut se faire rassurant. Il affirme que même si le processus de cession se poursuit, et que la demande unanime du milieu de retirer le port de Cap-aux-Meules de la liste a été rejetée, il ne faut pas s’inquiéter outre mesure. Le port est à vendre, certes, mais il n’y a pas de processus de cession en cours, selon lui, et les membres du gouvernement n’ont pas la volonté de s’en départir.

Il en veut pour preuve les «garanties» obtenues de la députée de la région et ministre du Revenu, Diane Lebouthillier. Parlant de la ministre, justement, pourquoi n’explique-t-elle pas elle-même ce qui se passe dans ce dossier? Pourquoi laisser agir un élu local comme porte-parole? Pourquoi ce mutisme?

Cela dit, que vaudraient les belles paroles rassurantes de la ministre dans le dossier du port, alors que la promesse électorale rompue de l’allongement de la piste est encore si fraiche à nos mémoires? Que vaudraient les dénégations de l’élue sur l’éventualité d’une cession du port alors que les fonctionnaires s’affairent à transmettre toutes les informations techniques et financières pertinentes à la vente à un promoteur privé? Que valent les déclarations des élus alors que les politiques publiques ont force de loi et le processus de cession suit son cours?

Céder ou ne pas céder

La simple évocation d’un acheteur potentiel privé et inconnu pour le port de Cap-aux-Meules devrait suffire à allumer un gros clignotant rouge sur la butte qui surplombe la porte d’entrée de l’archipel. On ne peut plus écarter la possibilité que l’acquisition par une entreprise privée d’ici où d’ailleurs, a priori impensable pour les Madelinots, se réalise un jour.

Il y a d’ailleurs dans le processus actuel une forme de déficit démocratique patent et un manque de transparence flagrant. Si le gouvernement veut céder une infrastructure publique, pourquoi n’entreprend-il pas un processus d’appel d’offres publiques où, comme le dit la formule consacrée, il ne sera tenu d’accepter ni la plus haute ni aucune des soumissions?

Pourquoi le processus d’échange d’information est-il confidentiel? Advenant qu’un processus réel de négociations de vente se mette en marche, comment le public en sera-t-il avisé. Aura-t-on encore un mot à dire? Quel type de négociations entretiendra-t-on avec un éventuel acheteur sérieux. Comment le fédéral entend-il procéder pour juger du sérieux d’un promoteur?

Comment se fait-il que les conditions de vente ne soient pas rigoureusement établies et connues d’avance. Quelles garanties demandera-t-on à un éventuel acheteur quant à l’entretien des infrastructures, l’accès public aux diverses clientèles du port, et à l’établissement d’une l’échelle de tarification équitable, abordable et réaliste. Comment s’assurera-t-on que jamais un privé contrôlant l’accès aux Îles ne puisse dicter le prix de toutes les denrées dont les insulaires se ravitaillent? Un scénario de pure fiction dirions-nous, mais que rien dans le processus actuel du gouvernement fédéral ne permet de baliser, ni d’exclure ou d’interdire.

Comme le prévoit le processus en cours, si le gouvernement du Québec et la Municipalité des Îles ont d’abord refusé d’acquérir le port et qu’un privé lève la main, quel pouvoir aurait-on d’interdire une entente? Une fois le fait accompli, pourra faire le public? Que pourront faire les élus, y compris les représentants fédéraux réfractaires au processus?

Le grand paradoxe

Il est là le grand paradoxe de la situation qui perdure dans le cas du port de Cap-aux-Meules depuis l’adoption de la politique des transports de 1995. Les élus du gouvernement fédéral affirment qu’ils ne veulent pas vraiment faire ce que prévoit la politique qu’ils ont adoptée et qu’ils maintiennent en vigueur en se pinçant le nez. N’y a-t-il pas de limite au double discours? Peut-on espérer qu’un jour les élus fédéraux accordent leur discours à leurs actes?

En d’autres mots, si les élus fédéraux acceptent l’idée que Transport Canada est le plus à même d’assurer l’entretien optimal des infrastructures portuaires de Cap-aux-Meules et le maintien des opérations de traversiers, des activités de croisière, de ravitaillement pétrolier, etc. Et qu’attendent les décideurs pour retirer enfin le port de Cap-aux-Meules de la liste des 21 ports dits excédentaires au Québec?

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