Le projet de parc éolien de la Dune-du-Nord se heurte à la résistance des écologistes, ceux-là même qui appellent pourtant la transition énergétique de tous les vœux. D’apparence contradictoire, leurs réserves découlent toutefois d’un argumentaire sérieux et, surtout, d’un bris de confiance envers la Communauté maritime des Îles.
C’est donc une cinquantaine de personnes qui ont commenté le projet de 6 MW pendant 5 longues heures, lors de la consultation du Bureau d’audiences publiques en environnement (BAPE) tenue la semaine dernière. Chacun des intervenants ayant fait ses devoirs, il faut reconnaître la vertu de cet important exercice démocratique, même s’il devait faire dérailler un projet attendu depuis une douzaine d’années et qui recueille un appui de principe unanime.
Habitat protégé
Porté par la Régie de l’énergie Gaspésie-Les Îles en partenariat avec la Communauté maritime, le projet de couplage éolien diésel avec la centrale d’Hydro-Québec est suspendu depuis deux ans en raison de la présence d’un habitat floristique protégé sur le site, le seul voué à cette fin au schéma d’aménagement de l’archipel. Ainsi, ce n’est pas le parc éolien lui-même qui est soumis à l’examen du BAPE, puisqu’il est trop petit, mais plutôt la question de permettre ou non le développement d’un projet susceptible d’altérer l’habitat d’une plante menacée, le corème de Conrad.
Il faut savoir que l’archipel est le seul endroit au Québec où l’on a répertorié cette plante. Deux des quatre sites où elle se retrouve sont reconnus comme des habitats floristiques protégés et bénéficient ainsi d’une protection légale qui découle de loi sur les espèces menacées de 1989. Une exception à la loi comme celle demandée par les promoteurs n’a jamais été accordée au Québec et constituerait un important précédent.
Plus de revenus, moins de GES
La Régie de l’énergie fait valoir que toutes les dispositions seront prises pour réduire au minimum l’effet des travaux sur l’habitat. L’impact résiduel est qualifié de négligeable et largement compensé par le bénéfice environnemental d’une réduction des gaz à effets de serre (GES) de 5% à la centrale d’Hydro-Québec. Les coûts de production évités à la société d’État et revenus annuels de quelques dizaines de milliers de dollars qui seront versés dans les coffres de la municipalité constituent les principaux arguments économiques du projet.
La municipalité, qui travaille sur ce projet depuis 2006, estime également que les avantages du projet supplantent les inconvénients. De son côté, Hydro-Québec souhaite surtout compléter son appel de propositions dès l’automne, après deux reports successifs.
Si l’argumentaire général des promoteurs se tient, les préoccupations citoyennes sur le choix du site, le potentiel de développement à venir, le plan de transition énergétique aux Îles, la cohérence et la transparence des actions de décideurs se défendent tout autant.
Autres sites, autres projets
En plus d’altérer et de fragmenter un habitat floristique protégé, le projet de parc éolien ne comporte aucun potentiel d’expansion, ce qui en déçoit plusieurs. Ce modeste parc éolien, aussi complexe fut-il à concrétiser, aussi couteux apparait-il (près de 5 M$ du MW), sera-t-il à jamais le seul à voir le jour dans notre archipel pourtant balayé par des vents constants? Le promoteur Tugliq, dont le projet éolien sur l’ile Seleine a été rejeté du revers de la main par la Municipalité des Îles, est d’ailleurs venu souligner l’existence d’une alternative. Une étude universitaire récente identifierait également certains autres secteurs, alors que l’hypothèse d’ériger des éoliennes en lagunes, voire offshore, a été évoqué.
Cette question mérite d’être approfondie, d’autant plus qu’Hydro-Québec, tout en poursuivant l’étude du scénario de raccordement électrique au continent, entend lancer dès l’an prochain des appels de propositions visant l’achat d’énergies alternatives pour diminuer les coûts et l’empreinte écologique de la centrale. Les nombreux revirements de situation en matière d’énergie ces dernières années, les échéances qui nous bousculent et les appels de propositions qui se chevauchent ont de quoi semer la confusion. Et le doute.
Approche de concertation?
Depuis un an, Hydro-Québec a changé son fusil d’épaule au sujet de l’avenir de la centrale et dit vouloir désormais travailler en collaboration avec le milieu. Or, la table d’échange mise en place à cet effet réunit essentiellement des représentants municipaux, excluant toute présence d’organismes du milieu et citoyens. Elle se rencontre en toute confidentialité.
De son côté, la municipalité a certes mené une consultation sur une éventuelle politique énergétique, mais l’essentiel des rencontres s’est tenu en privé. Mais surtout, la rédaction de la stratégie se fait en vase clos, sans la présence d’un comité de suivi qui pourrait favoriser le précieux apport et l’adhésion de la société civile. Parallèlement, la commission sur les enjeux énergétiques renouvelée fait maintenant appel à des experts du milieu triés sur le volet. Cela rappelle vaguement l’approche gouvernementale dans la conduite des études environnementales stratégiques et autres consultations sur l’énergie, très directives et hautement contestées.
Localement, la mise en veilleuse de la table des hydrocarbures, alors même que le débat sur la loi 106 et le renouvellement des permis de Corridor Resources faisait rage, illustre bien le malaise. La municipalité donne l’impression de mettre sciemment à l’écart les organismes et les citoyens sensibilisés à la cause de la transition énergétique, lesquels sont pourtant leurs meilleurs alliés objectifs. L’approche apparait contraire au discours officiel qui privilégie la concertation et résulte en un bris de confiance contreproductif. On ne s’étonne plus alors du sentiment l’incompréhension et des profondes réserves exprimées devant le BAPE.
Matière à réflexion
Le BAPE remettra sa recommandation au ministre dès le début juillet. Sans l’avoir véritablement taillé en pièces, les participants à la consultation lui auront certainement fourni amplement de matière à réflexion. Complètement ignoré des discussions, on peut aussi se demander comment la municipalité pourra réconcilier le sacrifice d’un habitat protégé avec son projet de candidature au statut de réserve de la biosphère de l’UNESCO. Il en va de même pour le principe au cœur de la toute récente politique environnementale municipale où «la Communauté maritime souhaite également se positionner comme leader en matière de protection environnementale.»
