Le gouvernement fédéral entend céder aux mains du secteur privé le service de traversier entre les Îles – Souris, tout comme les deux autres dessertes qu’il subventionne. Si le nouveau modèle opérationnel préconisé laisse miroiter certains avantages pour les Madelinots, certains facteurs de risque incitent à la plus grande vigilance.
Transports Canada a donc entrepris une consultation auprès des exploitants de services de traversiers de l’Est du pays, une demande de renseignement présentée comme une étape préalable à un processus d’appels d’offres formel. L’objectif, selon le fédéral, consiste à assurer la fiabilité et la viabilité à long terme des dessertes maritimes par le biais de contrats d’une durée de 20 ans. Plusieurs conditions seraient imposées aux transporteurs, dont celle de fournir eux-mêmes les navires, âgés de moins de 10 ans.
CTMA et la concurrence
La CTMA ne semble pas ébranlée par la nouvelle initiative fédérale qui, pour la première fois depuis l’avènement du Manic en 1971, mettra théoriquement l’entreprise en compétition avec d’autres armateurs pour obtenir le contrat de la desserte des Îles. La CTMA s’estime avec raison la mieux positionnée pour remporter l’appel d’offres en vertu de son expertise, de son expérience de la desserte et de sa connaissance des besoins locaux. Surtout, on imagine mal comment un nouvel exploitant pourrait développer une proposition alternative valable au cours des quelques semaines qui nous séparent de la date d’échéance du 31 juillet.
En théorie, le processus sert à stimuler la concurrence, ce qui en retour crée une pression à la baisse sur les coûts du contrat pour le donneur d’ordre, en l’occurrence le gouvernement fédéral. Or, si on présume que les entreprises ne se bousculeront pas pour solliciter ce contrat de desserte auprès du gouvernement, on peut bien se demander à quoi aura servi le processus d’appel d’offres. Surtout, on peut s’interroger sur ce que le gouvernement pourra obtenir de plus d’un transporteur, ou lui payer de moins dans la démarche actuelle que ce qu’il pouvait convenir avec lui dans une négociation de gré à gré.
Un nouveau bateau
Chose certaine, le gouvernement souhaite se décharger de l’obligation de fournir les navires des dessertes maritimes fédérales et d’en assumer les frais d’entretien récurrents. Mais là encore, ce que l’État ne paiera plus directement, il en épongera nécessairement les coûts à l’intérieur même du contrat de service que lui proposeront le ou les soumissionnaires. Depuis plus de 45 ans, chaque remplacement de bateau a donné lieu à une saga politico-financière de plusieurs années, résultant en l’acquisition d’un navire usagé.
La bonne nouvelle cette fois, c’est que les Madelinots peuvent espérer bénéficier enfin d’un bateau neuf, ou a tout le moins de construction récente, et le gouvernement semble prêt à en assumer les frais indirectement. Ne boudons pas notre plaisir, même s’il est assez ironique de voir que le fédéral exigera désormais des navires de 10 ans d’âge sur des dessertes maritimes où il a toujours étiré la vie utile de ses propres navires, jusqu’à 36 ans dans le cas du Madeleine.
Fait à noter, un volet de la demande de renseignement transmise aux armateurs concernant le ou les navires qui seront affrétés pour la desserte des Îles-Souris spécifie qu’ils devront «tenir compte du fait qu’un navire de cote glace doit être utilisé de janvier à mars.» Cela signifie donc que la desserte à longueur d’année, obtenue de haute lutte en 2009, fait désormais partie du service de base offert aux Madelinots. On note par ailleurs que Transports Canada parle d’un service de traversier qui «fonctionne toute l’année et qui constitue un lien vital.» Nous voilà tout de même rassurés.
Consulter l’industrie… et les citoyens
La démarche actuelle du ministère vise à recueillir de l’information auprès des acteurs de l’industrie sur leur intérêt et leur capacité commerciale à prendre en charge les dessertes maritimes, la disponibilité de navires, leur structure de gestion, les modes d’exploitation envisageables, les retombées économiques. Cela est fort bien. La consultation porte toutefois également sur certains aspects du service public tels les niveaux de services à offrir, la tarification et le service à la clientèle qui devaient aussi faire l’objet d’une consultation plus large, ouverte aux citoyens.
En effet, comment le gouvernement fédéral peut-il réfléchir à de nouvelles façons de faire dans l’opérationnalisation du lien vital qui relie l’archipel au continent, sans mettre à contribution la communauté ? Comment peut-on envisager de jeter les bases d’un nouveau mode de fonctionnement de la desserte, comme service public aux citoyens défrayé par les fonds publics, sans mettre la population dans le coup ? Malgré leur ancrage dans le milieu, leur expertise et toute leur bonne volonté, les compagnies de transport sont d’abord et avant tout des entreprises qui, par définition, doivent assurer leur rentabilité financière et leur pérennité. Le plan d’affaires d’une entreprise peut à certains égards coïncider avec l’intérêt du public, mais on ne doit pas confondre les intérêts du privé et l’intérêt public.
Planifier sur 20 ans
Avec la perspective d’attribution d’un contrat de desserte à long terme vient la perspective d’un monopole d’entreprise – locale souhaitons-nous – et l’obligation de définir les modalités de la desserte et les mécanismes de reddition de compte non seulement aux autorités gouvernementales, mais aussi, et surtout, aux citoyens desservis. La dynamique du transport aérien depuis 25 ans est, à cet égard un excellent contre-exemple.
La seule consultation publique du fédéral sur le transport maritime aux Îles de l’histoire récente remonte à 2008 et portait sur le projet de liaison hivernale. L’occasion est toute indiquée pour le fédéral de faire preuve de respect et d’ouverture envers notre communauté pour définir ensemble les conditions selon lesquelles nous souhaitons amoindrir les impacts de notre condition d’insularité.
La question de la propriété du port de Cap-aux-Meules doit aussi être rapidement résolue. Il y a trop de risques à confier une desserte maritime aussi vitale pour les Îles à un transporteur privé dans un port privatisé. Le retrait pur et simple du port de la liste des infrastructures fédérales excédentaires serait le premier geste à poser.
