Le gouvernement fédéral entreprend ces jours-ci une étude technique sur l’épave du Corfu Island, échoué sur la côte de l’Étang-du-nord il y a 53 ans. De passage aux Îles il y a quelques semaines, le ministre responsable de la Garde Côtière, Dominic Leblanc, affirmait que les recommandations attendues d’ic quelques mois permettraient de régler le dossier pour de bon. Enfin!
Disons-le d’emblée, seule l’extraction complète de l’épave apparaît comme la solution déterminante et finale à cette bombe à retardement environnementale. De plus, le moment ne pourrait être mieux choisi puisqu’une enveloppe budgétaire de 1,5 milliard $ a été réservée spécifiquement pour ce type d’opération dans le cadre du Plan de protection des océans.
Des fuites, encore des fuites
La dernière fuite de mazout issue de l’épave du Corfu remonte à l’an dernier. On parlait alors de 5 litres d’hydrocarbures récupérés lors de la nième opération de nettoyage pilotée par la Garde-Cotière ces dernières années. Il s’agit pourtant de l’une des plages les plus spectaculaires de l’archipel, hautement fréquentée par les Madelinots comme par les visiteurs.
En 2014, la plage a été frappée d’une interdiction de baignade pendant un mois en raison d’un écoulement de mazout en continu. Une situation tout à fait inacceptable que l’intervention efficace, mais coûteuse, de la Garde-côtière ne peut toutefois normaliser. Déjà à cet époque, dans un texte intitulé Tout ce qui traîne se salit, nous demandions dans ces pages une opération de grand nettoyage. C’est pourquoi nous saluons la décision fédérale d’intervenir enfin, en souhaitant que la solution choisie soit effectivement « finale ».
Cachez ce déchet que je ne saurais voir…
S’il faut saluer la bonne décision d’Ottawa, il faut dire que ce n’était pas trop tôt. La majorité des citoyens sont bien conscients, et depuis fort longtemps, de la fragilité de notre environnement et de l’importance de la saine gestion des matières résiduelles. Mais une épave, n’est-ce pas justement un immense déchet abandonné dans la nature. Avec raison, et colère souvent, nous réprouvons les dépotoirs clandestins, le vieux poêle abandonné dans la nature. Pourquoi en est-il autrement dans le cas de la carcasse d’un navire sur nos côtes? Notre rapport à la nature et à la pollution de l’environnement ne peut être liée uniquement à son aspect visuel et bucolique. Pourquoi la décomposition tranquille d’une vieille carrosserie d’automobile dans un champ nous heurte-t-elle davantage que la lente dégradation d’une épave souillée de mazout sur le bord de l’eau?
Pourquoi la pollution des océans, que l’on voit moins à l’œil nu mais qui est d’autant plus sournoise, n’apparaît-elle pas aussi grave que celle que nous honnissons en milieu terrestre?
D’autres fantômes
Surtout que le Corfu, ce fantôme du passé, ne représente pas le seul passif environnemental qui nous menace dans l’archipel. Les dizaines de puits de la SOQUIP et de la SOQUEM, forés au tournant des années 1970, n’ont toujours pas été répertoriés et cartographiés pour suivi. On se souviendra que le dossier avait fait la manchette à l’été 2013, et mené à la décontamination d’un site découvert par un citoyen sur le Sandy Hook. Depuis, c’est le silence radio. Les ministères du gouvernement du Québec et les sociétés d’État concernés semblent ignorer le problème en espérant qu’on n’en reparlera plus. Le problème quand on joue à l’autruche dans un archipel comme le notre, c’est que le sable dans lequel on met la tête peut justement être celui qui a été souillé…
Sur le plan fédéral, l’autre fantôme demeure celui des milliers de sacs de mazout et de BPC, déversés par la barge Irving Whale, enfouis dans la dune du Nord et de l’Ouest. Comme pour le Corfu jusqu’à aujourd’hui, la Garde-côtière intervient à la demande, suite à la découverte d’un nouveau « gisement ». Bien sûr, on ne connaît pas la localisation exacte des dépôts de sacs de sable souillé. Bien sûr, l’excavation de la dune au hasard, à l’aveugle, causerait plus de tort qu’autre chose. On espérerait tout de même une approche plus pro-active et une volonté manifeste de trouver les moyens techniques de sonder les entrailles de nos cordons dunaires. La prospection minière bénéficie d’un peu plus de moyens techniques et de créativité, semble-t-il.
L’exemple du Irving Whale
Il aura fallu une mobilisation considérable et la découverte de nombreux oiseaux englués pour convaincre le gouvernement fédéral de renflouer la barge Irving Whale, en 1996. Pour le Corfu, ça a pris encore plusieurs années. La bonne nouvelle, c’est que le gouvernent entend enfin se doter d’une loi qui obligera enfin les opérateurs de navires d’assurer à l’avenir le retrait et l’élimination à leurs frais de toute épave abandonnée.
Pour ce qui est du passé, il faut espérer que ce sera au tour du Corfu Island dès l’été prochain, soit plus de 20 ans après. Pour les sacs, d’ailleurs, pourquoi ne pas solliciter également des fonds du Plan de protection des océans? Bien que l’épave du Irving Whale ne soit plus, le poison de sa cargaison subsiste toujours. Il est évident que la Garde-côtière peut faire mieux, et peut faire davantage. À quand le vrai grand nettoyage?
