Autonomie municipale et pouvoir citoyen

Québec a finalement adopté le projet de loi 122, en toute fin de session, destiné à reconnaitre les municipalités comme des «gouvernements de proximité». En accordant plus de pouvoirs aux élus locaux, la loi en enlève hélas encore un peu plus aux citoyens. Cela n’a pas de quoi renforcer la démocratie municipale.

Les élus municipaux ont unanimement applaudi l’adoption du projet de loi, le qualifiant de «tournant historique» tandis que des groupes communautaires et citoyens y voient une érosion de la voix citoyenne.

Pour le gouvernement, l’objectif était surtout de remplir son engagement à donner un peu plus de marge de manœuvre décisionnelle aux municipalités après leur avoir imposé une ponction de 300 millions $ lors du dernier pacte fiscal. Dans l’archipel, on estimait alors le manque à gagner à 700,000$ par année, en incluant les sommes dévolues au développement économique. Il était tout de même savoureux d’entendre le ministre des Affaires municipales, Martin Coiteux, parler de la «plus grande décentralisation de pouvoir de l’histoire», alors même que son nouveau Fonds d’appui au rayonnement des régions (FARR) fait l’objet d’un contrôle gouvernemental sans précédent, y compris le choix des projets à financer en région.

Des changements

Parmi les principaux changements introduits par la loi, ce sont la permission d’abolir les référendums en matière d’urbanisme, le relèvement du plafond des contrats sans appel d’offres de 25,000$ à 100,000$ et l’élargissement des pouvoirs de taxation des municipalités qui ont surtout retenu l’attention.

Les municipalités obtiennent donc la possibilité d’éviter le processus d’approbation référendaire en matière d’urbanisme si elles adoptent une politique de consultation. L’objectif consiste ici à empêcher un petit groupe de citoyens d’opposer son véto à des projets proposés par le conseil municipal. On peut dès lors comprendre que si le pouvoir se rapproche effectivement des citoyens, il reposera entre les mains des élus locaux qui verront leur pouvoir décisionnel s’accroitre face à une éventuelle fronde de leurs commettants.

La loi ne définit d’ailleurs pas les paramètres des politiques de consultation, ce qui laisse place à toutes les interprétations. Que se soit en matière d’urbanisme ou quelque autre domaine, les consultations publiques prennent de plus en plus la forme d’une mascarade face à laquelle le citoyen se sent démuni, témoin d’un exercice où les dés sont pipés et les décisions déjà prises. Si l’objectif était de rehausser l’exercice de la démocratie municipale, la participation citoyenne devrait s’imposer à l’étape même de la conception des projets, de façon à ce que la consultation rime, autant que faire se peut, avec concertation.

Sans appels d’offres

L’autre changement majeur consiste à permettre aux élus municipaux l’octroi de contrats sans appel d’offres pour des montants jusqu’à 100 000 $. Ce sont les plus petites municipalités qui bénéficieront davantage de cette mesure lui permettant de conclure un fort pourcentage de leurs ententes contractuelles de gré à gré. Avec une bonne partie des recommandations de la Commission Charbonneau encore sur les tablettes, les partis d’opposition craignent avec raison que cela expose les plus petites municipalités au copinage et la corruption.

Rappelons que la Commission Charbonneau recommandait notamment que le Vérificateur général puisse faire enquête sur les petites municipalités de 100 000 habitants, qui n’ont pas leur propre bureau interne de vérification indépendante.

Les créatures et la démocratie participative

Considérées depuis toujours comme des créatures du gouvernement, les municipalités revendiquent depuis longtemps un statut de gouvernement à part entière, affranchi de la tutelle ministérielle et de la reddition de compte souvent tatillonne du gouvernement du Québec. Pour les élus municipaux, le principe d’imputabilité doit à juste titre s’exercer davantage envers ses commettants qu’envers les fonctionnaires de l’État. Encore faut-il que les conditions soient propices à une véritable reddition de compte

Les plus récents gains obtenus par les élus municipaux renforcent leur pouvoir, sans pour autant rehausser les exigences en matière de reddition de compte. La loi 122, tout comme les changements dans la négociation des conventions collectives ainsi que les régimes de retraite, a raffermi le pouvoir des élus. Il en va de même pour la responsabilité du développement économique régional qui leur incombe maintenant, avec ce que cela comporte de risques de conflit d’intérêts ou d’allégeance.

On dira bien sûr qu’ils sont élus démocratiquement pour un mandat 4 ans. C’est là une conception bien étroite de la démocratie municipale, bien éloignée d’un idéal de démocratie participative.

Pouvoir et contre-pouvoirs

En réalité, le déficit démocratique fondamental du palier municipal consiste dans la plupart des cas, en l’absence partielle ou totale de contre-pouvoirs en région. Le problème du palier municipal tient au fait qu’il n’existe aucun pouvoir de vérification et d’opposition institutionnel ou civique.

Contrairement au palier provincial, la plupart des municipalités n’ont pas de parti d’opposition pour relever les errances de l’administration en place, bonifier les projets ou relayer l’opinion des citoyens. Il n’existe pas de commissions parlementaires pour étudier les projets de règlements alors que les comités et commissions municipales sont composés de membres triés sur le volet qui peuvent difficilement opposer quelque résistance que ce soit aux élus qui les ont ainsi nommés.

Quant aux citoyens, ils doivent se contenter de la période de questions des séances municipales, qui, comme à l’Assemblée nationale, est bien rarement une période de réponses.

Ainsi, les municipalités, petites et grandes, ne sont pas à l’abri de la prise de pouvoir de petits despotes éclairés, régnants sans partage sur le bon peuple indifférent, impuissant ou désintéressé. Il ne reste alors que la presse locale, le quatrième pouvoir, souvent bien timide et parfois complaisante, mais surtout sans ressources, sans moyens et dépendante des élus comme source d’information privilégiée.

Pour assurer la santé démocratique de nos municipalités, le raffermissement du pouvoir des élus locaux devra favoriser l’émergence de contre-pouvoirs, institutionnalisés ou spontanés. En attendant, la vigilance citoyenne demeure le meilleur gage de l’imputabilité des élus inhérente à l’exercice du pouvoir.

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