Les allégations issues de la Commission Charbonneau qui évoquent le financement illégal de la campagne électorale 2008 du député des Îles à l’Assemblée nationale, Germain Chevarie, créent une onde de choc dans l’archipel. Habitués depuis 2 ans de voir des témoins plus ou moins inconnus défiler devant la juge Charbonneau, les Madelinots constatent que le spectacle navrant de la corruption des mœurs politiques semble vouloir se rapprocher d’eux, que des acteurs locaux pourraient figurer au générique. Or, cela pourrait bien n’être que la pointe de l’iceberg puisque les documents complémentaires soumis à la commission proviennent d’une enquête que mène actuellement l’UPAC, baptisée Joug, sur des actes criminels présumés en lien avec le financement politique des partis.
C’est le témoin André Côté, vice-président de la firme d’ingénierie-conseil Roche, qui a révélé avoir sollicité et obtenu des dons d’entreprises au profit de la campagne de M. Chevarie, ce qui est illégal puisque seuls les individus peuvent souscrire au financement politique. Le montant de 5000$, présumément versé à l’association libérale des Îles, correspondrait à la moitié du financement autonome nécessaire à la campagne libérale de 2008 puisque 50% des dépenses de 20,000$ inscrites au rapport du candidat a été remboursé par le trésor public.
Le plus grave dans cette histoire, c’est que le témoin affirme, sous serment, que la contribution politique illégale de Roche aurait été sollicitée par le député ou son entourage, en violation évidente de la loi. M. Côté ajoute que l’association locale a été dûment informée du versement de la somme, une fois le travail complété.
Difficile de dire si le Premier ministre avait eu vent de l’affaire lorsqu’il a composé son conseil des ministres, ignorant M. Chevarie à la surprise générale. Le député Chevarie a toutefois vivement réagit à la nouvelle cette semaine pour défendre son intégrité, qualifiant le témoignage de M. Côté de faux et mensonger. La divulgation publique des contributeurs à sa campagne 2008 apporterait du poids aux dénégations du député Chevarie et pourrait peut-être permettre d’écarter l’hypothèse d’un recours à des prête-noms. Or, devant ces deux versions contradictoires, seuls les résultats de l’enquête policière en cours pourront nous permettre de distinguer le vrai du faux.
Car le témoignage de M. Côté ne constitue pas une preuve de malversation contre M. Chevarie, le Parti libéral ou quiconque et ne constitue en rien un acte d’accusation. En effet, l’objectif de la Commission Charbonneau vise plutôt à mettre au jour les stratagèmes de corruption et de collusion en lien avec la gestion des fonds publics, à l’aide d’exemples provenant de témoins qui pour la plupart obtiennent l’immunité.
Cela dit, le témoignage de André Côté, dont la transcription intégrale est disponible sur le site internet de la Commission d’enquête, traduit bien le contexte de copinage et de collusion qui liait les partis politiques, les firmes d’ingénierie et certains entrepreneurs du début des années 2000 à 2010. Le tout est d’ailleurs corroboré par les mandats obtenus par l’UPAC lors de la perquisition effectuée récemment à la ville de Gaspé.
Ainsi, selon le Devoir du 17 mai, «en contribuant au financement illégal du PLQ, par l’entremise de prête-noms, Roche arrivait à « détenir les liens privilégiés nécessaires avec les membres influents du gouvernement et, ainsi, obtenir un avantage certain pour ses clients », affirme l’enquêteur dans sa déclaration assermentée.» Toujours selon le quotidien, les actes criminels soupçonnés par l’UPAC sont : abus de confiance, complot, fraude, production de faux documents, fraude envers le gouvernement, et contribution politique illégale. Aucune accusation n’a encore été portée dans le cadre de l’enquête Joug.
Cette enquête a cependant permis de dresser une liste de 50 projets ayant bénéficié d’un taux de financement public fixé de manière discrétionnaire. Dix-huit de ces projets ont été accordés à Roche dans l’est du Québec.
Il faut savoir que Roche a été une firme d’ingénierie très présente dans les grands projets réalisés ces dernières années aux Îles, dont le chemin Grand-Ruisseau (11,6 M$), le secteur routier Cap-aux-Meules – Fatima (8,9 M$), la route et l’aqueduc de Grande-Entrée (22 M$). Comme cela se passe souvent dans les dossiers des Îles, aucun de ces projets n’a obtenu l’aval des fonctionnaires, ne répondant aux normes mur à mur des programmes de financement. L’enquête en cours permettra sans doute de déterminer si c’est l’argument de la spécificité insulaire ou d’autres considérations moins nobles qui auront permis d’obtenir les subventions.
Une enquête parallèle de l’UPAC, baptisée Lierre, porte sur l’octroi d’une subvention de 11 M$ par l’ex-ministre Nathalie Normandeau à la ville de Boisbriand pour la construction d’une usine d’épuration d’eau. Les mandats de perquisition de l’UPAC ciblent ici un «système de corruption et de collusion qui aurait permis au PLQ de faire le plein de contributions illégales, grâce à la générosité des firmes de génie de conseil et d’entrepreneurs passés maîtres dans l’utilisation de prête-noms… En retour, certains élus provinciaux et fonctionnaires auraient contourné les règles d’octroi de subventions pour favoriser les gros bailleurs de fonds.» Une ex-vice-présidente de Roche, France Michaud, est accusée de fraude dans ce dossier. Incidemment, c’est elle qui aurait autorisé le versement de 5000$ à la campagne de M. Chevarie, selon le témoignage de André Côté.
Il sera intéressant de suivre le témoignage de Mme Normandeau, qui comparaîtra bientôt à la Commission Charbonneau. Outre le rôle-clé qu’elle a joué en tant que ministre des Affaires municipales dans l’octroi de subventions, l’ex-ministre sera interrogée sur les nombreux cocktails de financement auxquels elle a participé. L’un d’entre eux s’est d’ailleurs tenu à la Côte de l’Étang-du-Nord, le 11 mai 2009, permettant d’amasser 10 400$. Il s’agit bien-sûr d’une activité parfaitement légitime de financement, pourvu que les participants s’y présentent par conviction politique, sans pression politique, et qu’ils déboursent les 200$ de leur poche sans être remboursé par un tiers ou attendre un retour d’ascenseur. Des partisans, des gens d’affaires et tous les conseillers municipaux de l’époque y étaient…
