Sans tambour ni trompette, Hydro-Québec vient de confirmer aux médias locaux que la durée de vie utile de la centrale thermique des Îles-de-la-Madeleine passe de 2023 à 2035. Un an après le passage dans l’archipel de la Commission sur les enjeux énergétiques, cette curieuse nouvelle estivale à de quoi surprendre, réjouir, décevoir et faire rêver tout à la fois.
Ce n’est pas la première fois que la société d’État revoit ses calculs. Il y a quelques années, on était passé de 2017 à 2023, en raison disait-on d’un exceptionnel travail d’entretien des groupes électrogènes. Le bond actuel de 12 ans est d’autant plus surprenant qu’il est officiellement attribué aux effets des programmes de conversion des résidences au chauffage au mazout. Un programme qui, jusqu’à tout récemment, n’arrivait plus à convaincre les Madelinots de tourner le dos au chauffage électrique, de l’aveu même d’Hydro-Québec.
On se réjouira bien sûr pour tous ces travailleurs et leurs familles dont l’emploi dépend directement ou indirectement de la centrale. Hydro-Québec est un employeur majeur dans l’archipel, de même qu’un donneur d’ordres important pour de multiples sous-traitants. On estime que la production d’électricité aux îles coûte environ 60 millions de dollars à Hydro-Québec. Même en tenant compte du fait que 35 % des dépenses sont attribuables à l’achat de carburant, on comprendra que les retombées économiques des opérations de la centrale thermique sont considérables pour la communauté.
Cela dit, Hydro-Québec annonce par ailleurs qu’elle abandonne l’étude sur le raccordement de l’archipel au continent, un projet devenu caduc, parce que trop lointain. Cela est particulièrement commode pour la société d’État puisqu’un tel projet pourrait vraisemblablement coûter plusieurs centaines de millions de dollars. Commode aussi puisque la vaste majorité des participants aux audiences de la commission, en septembre 2013, s’étaient prononcés en faveur du raccordement par câble sous-marin. Même les commissaires ont semblé retenir cette voie dans leur rapport. Le raccordement au continent viendrait non seulement couper l’herbe sous le pied de Gastem, dont plusieurs détracteurs ont paradé devant la Commission, mais il constituait surtout une solution d’approvisionnement permanente, fiable et écologique pour les Îles. N’oublions pas qu’en raison des pertes d’énergie inhérentes à la production d’une centrale thermique, les Madelinots produisent 50% plus de gaz à effet de serre per capita que la moyenne québécoise.
Or, si la centrale thermique peut fournir encore une électricité fiable et une puissance suffisante pour nos besoins encore plus de 20 ans, qui pourrait s’en plaindre? On aimerait quand même qu’Hydro-Québec fasse preuve de plus de transparence et nous explique ses calculs, les écarts dans le temps, les résultats chiffrés de son programme de conversion au mazout et nous révèle sa vision quant à l’avenir énergétique des îles.
Sans la participation active d’Hydro-Québec, l’élaboration d’une politique énergétique pour les Îles, amorcée par la municipalité en 2011, risque fort de ne jamais aboutir. Cette politique vise à garantir «l’approvisionnement à moyen et long terme du territoire, une plus grande autonomie, une réduction de notre empreinte écologique et des conditions de développement socioéconomiques favorables.» Le récent rapport du BAPE recommandait notamment que les travaux de cette politique se poursuivent. Hydro-Québec partage-t-elle cette vision de l’avenir énergétique des îles et peut-elle s’engager à y travailler? Et pourquoi ne pas mettre les citoyens dans le coup?
Le premier pas serait certes l’annonce du projet de couplage éolien-diésel de 6 MW dont l’étude technique devait être terminée et les conclusions rendues il y a plus d’un an. Il y a également place aux Îles pour le développement de diverses filières de production d’énergie propre: géothermie, biomasse, hydroliennes, solaire, etc. Le déficit annuel de plusieurs dizaines de millions de dollars de la centrale thermique devrait à lui seul motiver la société d’état à investir massivement dans la recherche et le développement des énergies propres, renouvelables et espérons-le moins coûteuses dans l’archipel.
En attendant, pour Hydro-Québec comme pour les intervenants socioéconomiques du territoire, il n’y a maintenant plus d’excuses pour ne pas travailler activement à la recherche d’un promoteur et le soutenir dans la mise en place de serres chauffées par les résidus de chaleur de la centrale thermique. Le projet, évoqué dès les années ’70, a déjà fait l’objet d’au moins deux études qui en auraient démontré la faisabilité et la rentabilité. Tout en amoindrissant le gaspillage d’énergie, ce projet aurait le mérite de créer jusqu’à une vingtaine d’emplois, d’augmenter l’autosuffisance alimentaire des Îles et d’élargir encore l’éventail des productions bioalimentaires locales.
Le prolongement de la durée de vie utile de la centrale thermique de Cap-aux-Meules commande un effort significatif d’Hydro-Québec dans l’amélioration de son bilan énergétique et le nôtre. Il peut aussi permettre aux Îles d’allier les actions en développement durable à l’emploi, la recherche et l’économie.
