Les chemins de l’autonomie

Alors qu’une réforme administrative majeure ébranle le réseau de la santé au Québec, l’archipel obtiendra un traitement particulier correspondant à sa situation géographique particulière. L’octroi d’un Centre intégré de santé autonome, bien qu’une excellente nouvelle en soi, suscite néanmoins de nombreuses questions.

D’entrée, il y a la manière dont tout cela s’est passé la semaine dernière. Le ministre de la Santé, Gaétan Barrette, annonce d’abord l’abolition des Agences régionales de la santé et la fusion des établissements de chaque territoire au sein de Centres intégrés de Santé et de services sociaux. Le CSSS des Îles serait donc fusionné aux établissements de la Gaspésie. Seule la région de Montréal fait exception.

Le lendemain, lors d’une conférence de presse téléphonique convoquée à la hâte, le ministre Barrette annonce aux médias locaux qu’il présentera un amendement au projet de loi 10 présenté la veille. Le ministre précise alors que la géographie particulière des Îles commande une autonomie administrative sans laquelle les préoccupations des Madelinots auraient pu être «oubliées».

Spectaculaire volteface

Il s’agit sans doute de la plus spectaculaire volteface de l’histoire politique moderne. Tous dossiers, tous gouvernements confondus. Sans aucun débat, aucune consultation, avant la tenue d’une commission parlementaire, bref, avant même d’avoir entendu les premières réactions à sa réforme, le ministre Barrette y apporte un changement. Une telle improvisation surprend.

Que s’est-il donc passé dans les 24 heures qui ont suivi le dévoilement du projet de loi 10? La situation géographique des Îles n’a pourtant pas changé d’un iota. Les demandes relatives à la reconnaissance de l’insularité auprès du gouvernement sont aussi bien présentes dans le discours public depuis au moins 5 ans.

Chose certaine, on ne peut que s’interroger sur le processus de réflexion qui a précédé la publication du projet de loi 10. On imagine bien que le ministre n’y a pas travaillé seul depuis 5 mois. Une reconfiguration administrative d’une telle ampleur peut elle avoir été réalisée sans regarder au préalable la carte du Québec?

Ou alors, peut-être que ce sont les fonctionnaires eux-mêmes qui y ont travaillé seuls, selon les orientations du ministre qui n’a pas remarqué cet oubli de leur part avant de rendre le document public.

Quoi qu’il en soit, le ministre Barrette a fait valoir que le député des îles, Germain Chevarie, a utilisé les bons arguments pour le convaincre d’amender son projet de loi. Les Madelinots s’en réjouiront, évidemment.

L’Insularité à la pièce

Mais là encore, la question du processus décisionnel laisse perplexe. À quel moment le député local a-t-il eu vent de la première version du projet de loi? Était-il au courant du contenu de la réforme avant son annonce? Dans l’affirmative, pourquoi avoir d’abord ignoré son point de vue? Dans le cas contraire, cela voudrait dire que le député a pris connaissance de la réforme en même temps que tout le monde, la question de l’amendement se serait donc réglée en moins d’une journée!

Si tel est le cas, la décision est éminemment politique et repose vraisemblablement sur un échange entre les deux politiciens. Le ministre se rend-il alors aux arguments géographiques et administratifs ou souhaite-t-il plutôt favoriser l’adhésion d’un de ses collègues à sa réforme.

En d’autres mots, imaginons que le député local siège sur les banquettes de l’opposition. L’accès privilégié au ministre Barrette lui aurait-il été offert dans les 24 heures? Si nous étions dans l’opposition, la situation géographique et administrative objective des îles aurait-elle été ignorée par un gouvernement élu pour gouverner le Québec tout entier? En définitive, la reconnaissance de nos particularités doit-elle se négocier à la pièce, basée sur une appréciation politique, voire partisane, de la situation ou sur un constat objectif, par l’état, reposant sur la réalité insulaire?

Si j’étais de Sainte-Anne-des-Monts, de Havre-Saint-Pierre ou de Lebel-sur-Quévillon, je m’interrogerais.

Et les soins, alors?

Cela dit, les réactions à l’annonce d’un amendement ont été positives et unanimes. En prime, l’administration des services en déficience physique et des services jeunesse sera rapatriée. Autonomes, nous pourrons certainement faire entendre notre voix, sans intermédiaire. Il faut maintenant espérer que les besoins réels, et les surcoûts de l’insularité, seront reconnus. Car il faut se le rappeler, la réforme vise d’abord à permettre au gouvernement de faire des économies.

D’ailleurs, on peut se demander si la mise en place d’un CISSS, aussi petit soit-il, pourra se faire sans ajout de ressources. À titre d’exemple, les 60 employés de l’agence de la santé seront-ils tous intégrés au CISSS de la Gaspésie ou y aura-t-il un certain transfert de personnel et d’expertise vers l’archipel? Dans les fonctions administratives qui lui seront accordées, un Centre intégré de santé couvrant un si petit territoire sera-t-il en mesure de rivaliser avec les grands centres des quatre coins du Québec et tirer son épingle du jeu? À cet égard, quel poids auront les membres du conseil d’administration des Îles, face au ministre qui les aura nommés?

Et la dernière question, celle que tout le monde se pose, le grand brassage de structures signifiera-t-il l’octroi de ressources adéquates et adaptées à la réalité insulaire pour les services aux usagers?
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