Le temps des Fêtes rime invariablement avec l’esprit de générosité et de partage qui anime la collecte des denrées alimentaires des paniers de Noël aux Îles, comme bien d’autres guignolées un peu partout au Québec. Cette générosité, aussi spectaculaire et médiatisée que passagère, ne doit pas nous faire oublier que la pauvreté est bien présente parmi nous à longueur d’année. Elle continue d’ailleurs de croître au rythme où grimpent les écarts de richesse en faveur des plus fortunés tandis que le filet de protection sociale s’étiole. Pour ce Noël de partage, pourquoi ne pas aussi partager notre vision de la société dans laquelle nous souhaitons vivre ?
Nul doute que la distribution des paniers de Noël par les membres du Club Richelieu apportera, encore cette année, un baume sur les malheurs d’une bonne centaine de familles et d’enfants de l’archipel. Preuve de la générosité des Madelinots, et d’une prise de conscience de la précarité financière qui prévaut chez bien des familles, la récente collecte a connu un succès record avec une hausse de dons de 25 %.
Néanmoins, les besoins sont en hausse de 40% selon les données d’Entraide communautaire, responsable de la banque alimentaire des Îles. L’organisme lançait d’ailleurs un véritable cri d’alarme, à la fin octobre, alors que ses tablettes vides ne suffisaient plus à la demande. Et l’on parle ici des besoins de base en alimentation. En période d’austérité, ou de rigueur budgétaire, c’est selon, il faut reconnaître que l’insécurité alimentaire n’est pas une vue de l’esprit.
Des besoins à l’année
Or, une fois la période des Fêtes derrière nous, la conscience tranquille, la majorité d’entre nous vaquera à ses occupations quotidiennes sans trop s’émouvoir du sort des plus démunis. Il est pourtant de notoriété publique que les besoins alimentaires les plus criants se présentent à l’hiver et au printemps. Sans compter que l’augmentation des coûts du panier d’épicerie atteint les 4 à 5% depuis un an, dont 12 à 14% pour les prix de la viande. Les économistes prévoient que le prix des aliments continuera d’augmenter de 4 à 5% en 2015.
Pour faire une différence, sur le plan individuel, chacun devra donc poursuivre son devoir de solidarité bien au-delà de la période des fêtes. Les marchés d’alimentation disposent d’ailleurs des installations requises pour favoriser le don des denrées non périssables.
Cela étant, il faut bien admettre que la générosité, le partage et les dons ponctuels ne changent rien au cycle de la pauvreté. La charité, comme on le disait autrefois, soulage bien les symptômes, mais elle ne guérit pas la plaie. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les oeuvres de charité ont été remplacées par des programmes sociaux et des mesures gouvernementales de redistribution de la richesse à partir du milieu de 20e siècle, tant au fédéral qu’au provincial.
Répartir la richesse
Les programmes sociaux ont donc été établis pour mieux répartir la richesse et réduire la pauvreté, mais le discours actuel cherche plutôt à nous convaincre qu’ils appauvrissent l’État et par voie de conséquence, les citoyens.
Qui se souvient qu’en 1989, le Parlement fédéral dominé par le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney avait adopté une motion l’engageant à éradiquer la pauvreté chez les enfants avant l’an 2000 ? Depuis, le taux de pauvreté serait pourtant passé de 12% à 20 %, selon certaines études. La réduction du rôle de l’État fédéral par le gouvernement Harper ne risque pas d’inverser la tendance.
Depuis quelques mois, voire quelques années, le Québec semble vouloir emprunter la même trajectoire. Puisque le discours dominant, au Québec, clame que nous vivons au-dessus de nos moyens, le corollaire c’est donc que notre niveau de vie devra baisser. Pour une région dépendante de l’aide de l’État comme les Îles, pour les plus démunis parmi les nôtres, qu’est-ce que cela voudra bien dire ? On peut aussi se demander ce qu’il adviendra du développement régional. Alors que lutter contre la pauvreté des familles et des enfants n’a plus la cote, pourquoi la lutte contre les inégalités régionales l’aurait-elle ?
La lutte à la pauvreté
Il fut un temps, pas si lointain, où le Québec se targuait d’avoir adopté une Loi sur la pauvreté et l’exclusion sociale. Bien que cela ne date que de 2002, la simple évocation de cet enjeu apparaît aujourd’hui comme une hérésie, un discours ringard ou gauchisant, comme si un siècle s’était écoulé. Comme si le problème était réglé, le dossier clos.
À l’ère du régime minceur de l’État, quelle est la dernière fois où nous avons entendu nos politiciens parler d’amoindrir les inégalités sociales, de répartir plus équitablement la richesse? En guise de rappel, le cinquième des gens les plus riches au pays possèdent les deux tiers de sa richesse. Pis encore, la valeur nette de l’avoir des plus fortunés a augmenté de 80% depuis 1999, alors que le maigre avoir des plus pauvres chutait de 15 %.
En ce Noël de partage, et dans les mois à venir, nos dons envers les plus démunis leur apporteront un certain réconfort. L’espoir d’une société plus juste et plus solidaire ne pourra toutefois renaître qu’à partir d’un discours public renouvelé, de la définition d’un projet de société auquel nous pouvons tous contribuer.
