Le moins que l’on puisse dire, c’est que le passage dans l’archipel du premier ministre du Québec, Philippe Couillard, n’est pas passé inaperçu la semaine dernière. Sa tournée de deux jours avait des allures de campagne électorale, avec à la clé un engagement gouvernemental à mieux tenir compte de la réalité insulaire. Si l’engagement politique est clair et limpide, son impact concret pour les Îles et les Madelinots ne pourra se mesurer qu’à la lumière des décisions qui en découleront au cours des prochaines années. Comme on dit, on jugera l’arbre à ses fruits.
À grand renfort de capsules vidéo diffusées sur le web, de rencontres privées et publiques, de discours optimistes et d’interviews radio, le premier ministre a néanmoins multiplié les déclarations d’amour pour l’archipel et s’est solennellement engagé au nom de son gouvernement. C’est tout de même peu banal. Cela soulève aussi d’immenses attentes chez les Madelinots. Mais au-delà de la vaste opération de relations publiques qui a accompagné le passage de M. Couillard, lorsqu’il est question de «statut particulier», de quoi parle-t-on, au juste ?
Statut particulier ou modulation?
La notion de «statut particulier» est imprécise, chacun semblant lui accoler sa propre définition. Dans le cas présent, ni le territoire, ni ses citoyens, ni l’administration municipale n’obtiennent de privilèges, de pouvoirs supplémentaires ou de droits spécifiques ou exceptionnels. S’il évoque bel et bien la reconnaissance d’un statut particulier, le décret signé par le premier ministre se résume à un engagement gouvernemental à mieux tenir compte de la réalité insulaire et des contraintes structurelles que cela implique.
Cette nouvelle directive administrative s’inscrit dans le cadre de la planification pluriannuelle des ministères et organismes assujettis à la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires (LOVT). Dans les faits, cela implique que les fonctionnaires devront énoncer spécifiquement les mesures et les efforts qu’ils comptent mettre en œuvre pour adapter les services de l’État à la réalité des Îles. Il s’agit donc d’une obligation administrative de réfléchir à la question, et de rendre des comptes.
On parle, pour l’essentiel, de l’adaptation et de la modulation des programmes de l’État pour tenir compter des conditions spécifiques de l’archipel. Si l’intention est noble, il faut néanmoins se souvenir que ce n’est pas la première fois que le gouvernement s’engage à reconnaître les particularités des territoires. La modulation des programmes en fonction des particularités territoriales était l’un des axes privilégiés de la Politique nationale de la ruralité (PNR) que le gouvernement n’a jamais réussi à concrétiser. Le présent gouvernement a d‘ailleurs répudié la PNR il y a deux ans.
On retrouve néanmoins l’objectif de modulation dans la Loi-cadre pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires, adoptée en février 2012. Cette loi compte parmi ses 6 principes directeurs «l’action gouvernementale modulée… pour tenir compte de la diversité et de la spécificité des territoires, ainsi que de la recherche de l’équité entre les territoires et les collectivités.» Le nouveau décret vient donc y ajouter la «spécificité spécifique» des Îles-de-la-Madeleine.
Un gouvernement à contresens de sa propre loi
L’adoption de la Loi pour assurer l’occupation et la vitalité des territoires est le fruit d’une longue bataille menée par une coalition de partenaires de la ruralité dont la Fédération québécoise des municipalités (FQM), Solidarité rurale du Québec et l’Association des CLD du Québec. Là où le bât blesse, c’est que le gouvernement de Philippe Couillard n’a jamais tenu compte de cette loi dans l’application des mesures d’austérité des deux dernières années. En effet, un rapport dévastateur commandé par la coalition Touche pas à mes régions, publié en juin 2015, conclut que le gouvernement est allé à contresens de sa propre loi depuis son accession au pouvoir. Sur les 71 engagements gouvernementaux mesurables examinés dans cette étude, pas moins de 50 ont été affectées négativement par les décisions budgétaires gouvernementales. On parle ici de l’abolition de programmes et d’organismes ainsi que de compressions dans le soutien à de multiples initiatives dont les régions étaient souvent les plus importantes bénéficiaires.
Il faut aussi noter qu’en plus de la modulation des programmes, la loi retient aussi comme principe clé la concertation des acteurs régionaux. Il est plutôt ironique de constater que plusieurs de ces partenaires du développement régional qui ont convaincu le gouvernement d’adopter sa loi sur l’occupation des territoires ont été depuis lors, abolis ou abandonnés par le gouvernement.
Et puisque rien n’est simple dans l’administration gouvernementale, mentionnons que cette loi s’appuie sur une Stratégie d’occupation du territoire dont elle balise la mise en œuvre, le suivi, l‘évaluation et le renouvellement. Or, cette stratégie n’a fait l’objet que d’une seule évaluation en 5 ans alors que la loi l’exige annuellement. De plus, la Stratégie est échue depuis mars dernier sans que personne ne s’en formalise, ni les régions, qui n’y croient vraisemblablement plus, ni le gouvernement.
Une panacée ?
En résumé, le gouvernement s’engage à tenir compte des particularités des Îles dans le cadre d’une stratégie d’occupation du territoire encadrée par une loi dont il ne respecte pas l’esprit, ni parfois même la lettre, et dont les obligations de suivi, d’évaluation et de renouvellement sont aléatoires.
Ce n’est donc pas une panacée. Cela ne garantit surtout pas la prise en charge des problèmes de transport aérien, et encore moins maritime, la réduction du coût de la vie, la réfection des routes municipales, le financement de nouveaux réseaux d’égouts, etc. En adoptant sa Stratégie assurant l’occupation et la vitalité des territoires, puis sa loi, le gouvernement Charest annonçait le début d’une ère nouvelle dans les relations de l’État avec les partenaires des régions et la prise en compte de leurs besoins spécifiques. On connaît la suite…
Au-delà de l’impact administratif du décret, qui sera soumis aux aléas du contexte budgétaire et aux contraintes structurelles de gestion de l’État, c’est donc sur la base de l’engagement politique significatif du premier ministre Couillard lui-même que les Madelinots doivent compter pour assurer la prise en compte de leurs particularités territoriales. La reconnaissance de l’insularité continuera de se bâtir dossier par dossier, mais avec un argumentaire bonifié a priori du sceau du premier ministre.
Bonjour, Joël,
Je crois de plus en plus que ce sont surtout les »très hauts fonctionnaires » dans les différents ministères, qui font des choix qui les arrangent eux, qui orientent l’attention de leurs ministres vers les objets et sujets que EUX, les fonctionnaires, priorisent. Un ministre est normalement encombré, voire submergé de dossiers à traiter et s’en remet à ses fonctionnaires pour obtenir les informations qui détermineront ses choix. Il se peut bien que M. Couillard (et autres) se sacre bien du sort des Îles, mais peut-être aussi qu’il croit sincèrement à son »engagement » pour le statut particulier. Je ne cherche pas à absoudre Couillard, mais non plus que de l’accuser trop vite, lui ou ses ministres. Il y a de pleins essaims de courtisans plus ou moins honnêtes qui jouent de leurs influences et qui poussent très fort. Je crois. Je peux me tromper. Mais bon!….
J’aimeJ’aime