Réparer les régions

Sitôt l’annonce du surplus budgétaire gouvernemental de 2015-2016, au début du mois, les appels à des réinvestissements en santé et en éducation ont retenti à juste titre. Particulièrement affecté par le régime d’austérité du gouvernement Couillard, le développement régional devrait aussi faire l’objet d’un réinvestissement prioritaire.
On l’oublie trop souvent, le développement régional et rural a été terrassé de façon singulière depuis le retour au pouvoir des libéraux. Proportionnellement parlant, les sommes sabrées dans le développement économique régional, les programmes de soutien et la concertation en régions n’ont aucune commune mesure avec les coupes imposées dans quelque autre secteur que ce soit. Pour paraphraser le réputé chroniqueur économique Mario Girard, qui suggère d’utiliser les impressionnants surplus budgétaires pour «réparer» les dommages causés en santé et en éducation, c’est aussi l’occasion de réparer les régions.

Les dommages

Le surplus budgétaire surprise de 1,8 milliard $ a été réalisé au prix de fortes hausses de taxes, d’impôts et d’augmentation de tarifs pour le contribuable, mais également au moyen des compressions dont les régions ont payé un lourd tribut. Pour mémoire, rappelons l’abolition du soutien aux municipalités dévitalisées, la dissolution des Conférences régionales des élus (CRÉ), l’abandon des Centres locaux de développement (CLD) et l’amputation de 55% des budgets de développement économique régional.

Avec 300 millions $ en moins, le monde municipal s’est retrouvé avec une responsabilité nouvelle de développement à assumer, sans en avoir toute l’expertise et sans les leviers financiers pour agir. Aux Îles et en Gaspésie, comme ailleurs, les impacts se font sentir dans plusieurs sphères : que l’on pense à l’entrepreneuriat, à la culture, au tourisme et au secteur bioalimentaire.

Dans l’archipel, les statistiques sont révélatrices en matière d’aide à l’entreprise. Le récent bilan des sommes engagées par la municipalité en soutien aux entreprises fait état de trois projets financés en un an, contre une quarantaine en moyenne du temps du Centre local de développement. La disparition des services d’accompagnement aux entrepreneurs n’est probablement pas étrangère à ces résultats. Or, en entrepreneuriat comme en éducation, c’est à moyen et long terme que les impacts du désinvestissement feront le plus mal à la collectivité sur le plan socioéconomique.

Victimes d’importantes coupes budgétaires, le Bon goût frais des Îles, la corporation culturelle Arrimage et le Centre de recherche sur les milieux insulaires et maritimes comptent parmi ces organismes qui ont dû revoir leur structure organisationnelle, réduire leur offre de services ou leur programmation. Avec le retour des surplus budgétaires, on peut se demander si l’intensité des compressions budgétaires était justifiée. Chose certaine, l’abolition des leviers de développement régional n’avait rien de la fatalité.

Cohésion et voix des régions

Collectivement, les régions se relèvent péniblement de deux années de misère avec la gueule de bois, comme un boxeur après une sévère correction. Le modèle de développement concerté a été anéanti pour faire place au chacun pour soi des collectivités locales, voire aux guerres de clochers, comme en Gaspésie. Il s’agit là d’un retour de 30 ans en arrière qui ouvre la porte à l’arbitraire et au favoritisme politique dont le Québec des régions avait mis bien du temps à se départir. Difficile de dire si ce sont les compressions budgétaires ou le saccage du modèle de développement régional concerté qui aura été le plus dommageable.

Depuis la mise en oeuvre de la première politique de développement régional, en 1983, jamais n’a-t-on vu une absence aussi manifeste de vision gouvernementale quant au développement des régions du Québec. Sous prétexte de responsabiliser les élus locaux, Québec a fait taire la voix des régions. Le premier ministre Couillard avait donné le ton en éliminant le terme «région» du nom du ministère des Affaires municipales dès son élection en avril 2014. Au-delà de la puissance symbolique du geste, force est de constater que le développement régional n’est plus un enjeu, une responsabilité assumée et une préoccupation d’importance pour le gouvernement.

La mise au rancart de la Politique nationale de la ruralité en est un bel exemple. Tout comme la fin du partenariat avec Solidarité rurale du Québec comme instance-conseil du gouvernement en matière de développement rural. Pourtant, les problématiques de démographie, de chômage et de dévitalisation ne sont pas moins criantes de nos jours dans les régions du Québec. Or, personne n’en parle plus de façon structurée, organisée et documentée. Était-ce là l’objectif du gouvernement ?

De son côté, la Fédération québécoise des municipalités peine à relancer la cohésion des régions. Ayant hérité du développement régional, une responsabilité auparavant partagée avec l’Association des CLD du Québec, la FQM poursuit sa réflexion sur les façons de reconstruire la concertation régionale, de remettre en place les outils de développement et l’expertise perdue. Tout cela avec des budgets amputés de moitié.

Concertation régionale

Plus près de nous, la structure de concertation régionale Gaspésie-Les Îles, destinée à remplacer la CRÉ, tarde à prendre forme. Elle ne compte qu’une seule employée, sans moyen, alors que la CRÉ comptait une vingtaine de professionnels et un budget de 4 millions $ à investir dans les secteurs du tourisme, des ressources naturelles, de la culture, du bioalimentaire, du développement social, etc. Le développement éolien, qui rapportera bientôt des revenus nets de 5 millions $ aux municipalités de la région, n’aurait jamais été possible sans la cohésion régionale générée par la CRÉ. La mise en oeuvre d’un réseau de transport collectif non plus.

D’autres dossiers d’envergure régionale mériteraient toutefois l’attention des élus, un travail de fond par des professionnels et la précieuse implication de la société civile : transport aérien, développement numérique, social et économique, infrastructures routières, etc. Sans «réparer» la cohésion régionale, sans unité d’action politique, sans voix et sans moyens, comment y arrivera-t-on ?

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