Projet de loi sur les hydrocarbures: choisir son camp

 

Le débat entourant le projet de loi sur les hydrocarbures révèle une profonde division au sein des municipalités du Québec. Certaines demandent le retrait pur et simple du projet de loi 106 tandis que leurs fédérations approuvent l’adoption rapide d’un cadre de loi malgré ses nombreux irritants. Compte tenu de la possibilité bien réelle d’une exploitation gazière sur l’archipel, il sera particulièrement intéressant de voir de quel côté penchera la Municipalité des Îles.

Depuis le dépôt du projet de loi, à la veille des vacances estivales, les groupes environnementalistes, mais également plusieurs observateurs indépendants ont relevé la contradiction fondamentale au cœur de ce projet de loi qui vise à affranchir le Québec des hydrocarbures tout en donnant naissance à une industrie pétrolière bien de chez-nous. En incluant le cadre de développement pétrolier fortement contesté au cœur de la transition énergétique qui fait consensus, plusieurs y ont vu un stratagème gouvernemental pour dorer la pilule. En commission parlementaire, de nombreuses voix se sont élevées pour réclamer que le projet de loi soit scindé.

Une menace à l’eau potable ?

Provoquant la surprise, pas moins d’une centaine de municipalités se sont plutôt prononcées pour demander le retrait pur et simple du projet de loi. Un pavé dans la marre qui appelle l’ensemble des municipalités, et leurs citoyens, à choisir leur camp. L’appel à la mobilisation du monde municipal, mené par huit maires et mairesses de différentes régions du Québec, aura une résonnance toute particulière auprès les Madelinots qui ont suivi le débat sur les projets de forage par Gastem aux Îles en 2011. «Il faut faire passer l’eau potable avant les hydrocarbures», affirme la mairesse de Batiscan, Sonya Auclair. Ses collègues d’Anticosti, de Ristigouche Sud-Est et de bien d’autres petites municipalités croient aussi que le projet de loi 106 laisse planer une menace bien réelle sur les ressources en eau potable des municipalités, mais également sur les droits des municipalités et des citoyens.

Ces élus municipaux estiment que le projet de loi met en péril l’eau potable en accordant préséance aux droits des pétrolières au détriment de ceux des municipalités et des citoyens. Les droits d’exploration et d’exploitation permettraient en effet aux pétrolières de se soustraire aux dispositions des schémas d’aménagement et aux règlements de zonages, dépouillant ainsi les municipalités de leurs compétences en matière d’aménagement du territoire et de protection de l’eau potable. Cette disposition du projet de loi est d’autant plus surprenante que de récents amendements à la loi sur les mines accordent aujourd’hui le pouvoir aux municipalités d’identifier des zones d’exclusion à l’exploitation minière.

Du free mining au free drilling

Une autre disposition contestée du projet de loi 106 confère le pouvoir d’expropriation aux pétrolières à des fins d’exploitation. Le ministre des Ressources naturelles, Pierre Arcand, se fait rassurant en rappelant qu’il s’agit d’une mesure de dernier recours, rarement utilisée et qui ne sera autorisée par le gouvernement qu’en vertu de l’intérêt public.

N’empêche, il est pour le moins paradoxal que deux des mesures les plus archaïques de la loi sur les mines de 1880, qui consacre le «free mining», soient réintroduites dans la loi sur les hydrocarbures à l’ère de l’acceptabilité sociale et de la transition énergétique.

Quant à la protection des sources d’eau potable, le gouvernement se défend en rappelant l’adoption en 2014 du règlement sur le prélèvement des eaux et leur protection (RPEP). Or, c’est précisément l’insatisfaction à l’égard de ce règlement, jugé insuffisant et inadéquat, qui a suscité la mobilisation des municipalités qui s’opposent aujourd’hui au projet de loi 106. Le RPEP prescrit une distance minimale de 500 mètres entre un site de prélèvement d’eau et l’aménagement d’un site de forage, une zone séparatrice jugée trop étroite. Pas moins de 330 municipalités, représentant 1,2 million de citoyens, ont demandé une dérogation au RPEP, afin d’établir la distance séparatrice requise à 2km. Quatre résolutions et un projet de règlement ont été envoyés dans chaque municipalité du Québec pour solliciter leur appui à la démarche.

Aux Îles

De leur côté, les élus municipaux des Îles ont fait la sourde oreille à ces appels répétés à la mobilisation sur le RPEP, entamée depuis plus d’un an. La municipalité avait pourtant adopté un règlement municipal «symbolique», en mars 2013, fixant justement à 2km la distance minimale entre les puits d’eau potable et d’éventuels forages sur son territoire. Les élus locaux semblent aujourd’hui miser sur l’adoption d’aménagements spécifiques aux Îles, auquel le ministre Heurtel a dit ne pas fermer la porte, il y a un an. Rien n’a transpiré depuis.

On se souviendra qu’aux Îles, la question de l’eau potable a été l’élément déclencheur d’une forte mobilisation contre le projet de forage exploratoire de la pétrolière Gastem, menant à la tenue d’un Bureau d’audiences publiques en environnement sur la question en 2013. Le BAPE a conclu que les ressources en eau potable étaient irremplaçables et nécessitaient des mesures de protection particulières, notamment face à d’éventuels projets d’exploitation gazière. Or, le rapport du BAPE a été tabletté et ses recommandations n’ont jamais été mises en œuvre par le gouvernement.

Ce qui nous ramène au projet de loi 106 qui divise les municipalités, particulièrement au sein de la Fédération québécoise des municipalités. Alors que des dizaines de ses membres réclament le retrait pur et simple du projet de loi 106, la FQM en appuie les grandes lignes tout en souhaitant la prise en compte des compétences municipales.

Il se dégage de ces deux courants, deux visions qui se confrontent quant au développement de la filière hydrocarbures et à la transition énergétique dans les municipalités au Québec. Il y a celles qui s’opposent aux forages sur leur territoire et celles, plus nombreuses, qui laissent la porte ouverte à l’industrie dans l’espoir d’en tirer des retombées économiques. Le choix des élus madelinots sera déterminant, d’autant qu’il se répercutera dans les orientations de la stratégie énergétique locale que la municipalité entend adopter d’ici les prochains mois.

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