Culture du viol: Pas pareil aux Îles ?

Le débat fait rage dans les universités, les médias sociaux et nationaux, dans les couloirs de l’Assemblée nationale et jusque dans la course à la présidence américaine. La vilaine expression est lancée, violente comme une tempête d’automne, choquante comme une gifle au visage: nous vivons dans une culture du viol ! Heureusement, aux Îles c’est pas pareil… Vraiment ?

Dans la nuit du 23 au 24 juin dernier, sur une plage idyllique de l’archipel, une femme se fait sauvagement violer après avoir été droguée dans un bar quelques heures plus tôt. Une agression de groupe, lâche, violente et préméditée. L’enquête piétine, les coupables de ce crime courent toujours…

Un soir où l’on célèbre la distinction culturelle du peuple québécois, sa résilience, sa créativité, son ouverture, l’égalité des chances, l’égalité des sexes, la vie d’une femme bascule à jamais. Sur une plage de la destination vacances par excellence, un petit paradis où l’air salin embaume les amitiés estivales et où l’insouciance prend le relais de tous les aléas du quotidien, une femme est précipitée dans un cauchemar innommable.

Culture du silence

Mais on n’en parle pas ou peu. Quelques bribes sur les réseaux sociaux, des appels au respect de la vie privée. On détourne le regard parce qu’on ne sait pas ou parce qu’on ne veut pas savoir. Parce qu’on n’y croit pas ou parce qu’on ne veut pas y croire. Parce que tout le monde se connaît. Parce que les touristes arrivent, parce que l’été est là et qu’il vaut mieux en profiter. Parce que ce n’est pas de nos affaires, après tout. Parce qu’on n’y peut rien. Parce que c’est un cas isolé. Parce que, parce que…

Puis, la victime se manifeste publiquement dans un article courageux, publié dans ce journal. Un texte fort et bouleversant. Sans hargne ni colère, plein de gratitude pour le soutien obtenu. Une lettre qui appelle à la sensibilisation, à la prévention… et à l’amour. Il faut un immense courage pour se révéler au grand jour, dans toute sa vulnérabilité, dans une société ou l’on juge souvent plus vite qu’on ne réfléchit. Dans une société où la victime, et encore davantage la femme victime d’agression se retrouve bien trop souvent sur le banc des accusés de l’opinion publique.

Aux Îles, c’est pas pareil ?

La culture du viol repose justement sur la banalisation des violences sexuelles, du «commentaire de vestiaire» jusqu’à l’agression, la culpabilisation des victimes «parce qu’elles l’auraient un peu cherché», la complaisance envers l’agresseur «qui a malencontreusement décodé le non comme un oui» et la tolérance collective, l’indifférence généralisée face au phénomène.

On peut certes rejeter cette expression qui globalise le phénomène des agressions, qui stigmatise la société tout entière et la gent masculine en particulier. La culture du viol, ce n’est pas flatteur, cela heurte nos convictions et ébranle nos certitudes. Mais que l’on soit d’accord ou non, cette expression aura peut-être le mérite d’engendrer un véritable débat de société sur la violence sexuelle, alors que les propos misogynes et les agressions dont sera victime une femme sur trois dans sa vie ne nous ébranlaient plus guère.

Pas pareil aux îles ?

On dira que le viol est rarissime aux îles, que le cas de juin dernier constitue un événement isolé. Pourtant, le Centre d’aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel des Îles (CALACS) enregistre pas moins d’une vingtaine de dossiers par année. Presque deux par mois. Et ce ne sont là que les cas les plus graves. Ce ne sont que les cas où les victimes ont retrouvé la force et le courage de sortir de l’isolement pour appeler à l’aide, sans toujours pour autant dénoncer leurs agresseurs.

Et on ne parle pas des actes disgracieux, des propos sexistes, intimidants ou dégradants, des mains baladeuses et des gestes posés à l’égard des femmes sans consentement. Ceux-là, ce ne sont pas que les femmes victimes d’agression qui peuvent les dénoncer. Cela concerne tous les témoins de ces gestes de tous les jours, les hommes et les femmes, les leaders d’opinion, les patrons, les collègues, les éducateurs, les parents.

Faire le débat

Le débat sur la culture du viol ne touche pas que le phénomène du viol, mais l’ensemble des attitudes, des comportements sexistes et des violences sexuelles. Il touche à l’éducation sexuelle à l’école, à la notion de consentement. Il n’y a pas de petites agressions.

Et ce débat ne concerne pas que les campus universitaires, les groupes de femmes et les politiciens. Il n’interpelle pas que les citadins.

Et il n’appartient pas qu’aux femmes de mener la lutte, bien au contraire.

La victime de viol, la victime de harcèlement, la victime d’un commentaire sexiste ou dégradant, ce pourrait être une amie, une collègue, votre fille ou la mienne. Et parce qu’ici, tout le monde se connaît, l’agresseur, ce pourrait être un coéquipier, un ami, votre garçon ou le mien.

Il ne faut plus détourner le regard parce qu’on ne sait pas ou parce qu’on ne veut pas savoir. Parce qu’on n’y croit pas ou parce qu’on ne veut pas y croire. Parce que l’hiver arrive, qu’on est entre nous et qu’il vaut mieux en profiter. Parce que c’est un cas isolé. Parce que ce n’est pas de nos affaires, après tout. Parce qu’on n’y peut rien. Parce que, parce que… image

 

4 réflexions sur “Culture du viol: Pas pareil aux Îles ?

  1. Les îles hélas sont aussi et manifestement le théâtre de violences tous azimuts. Comme la communauté est tissée serré, certaines personnes porteuses de haine sont au fait que les filets de sécurité et ses défenseurs (la police) sont plutôt éloignés de la réalité et de ces scènes de crime. On ne peut que souhaiter aux Madelinot-E-s «Courage» et de se protéger des personnes violentes et toxiques!
    Gisèle Caron

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  2. Merci beaucoup, Joël Arseneau !

    J’applaudis chaleureusement la pertinence de ton texte.
    Merci pour cette position, ces mots sentis et sensibles, ce regard direct sur les choses qui nous brassent la cage. Nous étions effectivement en train de somnoler avec l’arrivée de l’automne; un des «que» pour nous détourner collectivement de notre responsabilité sociale et humaine.

    Y a-t-il autant de «parce que» qui vont venir à la rescousse de notre laxisme communautaire ? Où est le débat public qui aurait dû avoir cours sur ce sujet ??? Pourquoi les trois groupes féministes du milieu ne l’ont-ils pas initié ? N’est-ce pas implicite dans leurs missions, de prendre le leadership en ce sens lorsque la situation le justifie ou même l’exige ? Quand on travaille explicitement contre la violence, pour le changement social visant l’égalité, cela ne doit-il pas impérativement prendre corps lorsque sur le terrain, dans notre vécu quotidien, nous sommes atteints de front par la problématique de la violence faite aux femmes ?

    Dans notre sphère publique, nous avons eu deux cas plutôt rapprochés: celui de cette femme gravement malmenée sur un bateau de pêche, puis ce viol immonde. N’était-ce pas suffisant pour initier une réflexion collective ? Je suis convaincue qu’il pouvait et qu’il peut encore exister un angle respectueux des femmes concernées permettant de mettre publiquement le sujet sur la table en partant de ces situations sans glisser dans l’analyse de cas. Il faut simplement se servir de ces situations comme amorce mais dépasser cela de manière à poser un regard global sur les choses. Puis, il faut mettre plein d’éléments en perspective de même que faire des parallèles entre hier et aujourd’hui, CHEZ NOUS vs ailleurs. Il faut regarder où nous en sommes Aux ÎLES, dans notre seuil de tolérance, notre réalité de proximité et le type de socialisation qui existe dans nos moeurs, exemples concrets à l’appui. Identifier nos forces et nos défis insulaires à ce sujet et tracer la voie aux outils et solutions véritablement collectives est indispensable! QUAND ALLONS-NOUS ENFIN FAIRE CELA ???

    La marche du 6 décembre, c’est bien. Mais de grâce, réalisons que nous avons besoin d’actions/interventions publiques et collectives qui soient réellement ancrées dans notre réalité madelinienne.

    Merci encore, Joël, d’avoir traiter le sujet et de l’avoir fait de cette façon. Maintenant, à moi de faire circuler ce que j’exprime ici, question d’être cohérente avec la part de responsabilité sociale qui me revient !

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  3. Merci de parler publiquement de ce sujet troublant. Il est important de ne pas le garder caché, d’informer la population et de faire de la prévention. Je vis dans une grande ville (Vancouver) où ce phénomène de  »rape drug » est très répandu, comme dans la plupart des grands centres urbains.

    J’ai une fille de 18 ans et je l’ai à maintes fois avertie de faire très attention, de s’assurer de toujours être en groupes d’amis et de se protéger les uns les autres quand ils sortent et vont à un concert, ou sortent dans un bar, de ne jamais laisser leur verre sans surveillance,etc.

    Mais je ne pensais jamais que cela pourrait m’arriver à moi, à mon âge. Et pourtant, j’ai été droguée dans un bar. J’ai été très chanceuse, car je n’avais pris que trois gorgées de mon  »drink » et c’est en me rendant aux toilettes que je me suis effondrée sur le sol – donc il y avait beaucoup de monde autour de moi. J’ai perdu connaissance et on m’a aidée à me relever, mais j’avais probablement l’air d’être une personne saoule qui avait un peu abusé, donc personne ne semblait s’inquiéter de mon sort outre mesure. Je n’étais pas du tout saoule, et comme je ne perds jamais connaissance et que je ne suis jamais malade, je me demandais ce qui m’arrivait. J’ai tenté avec mon cellulaire d’appeler mon amie qui était restée sur le plancher de danse, pour lui demander de l’aide, mais ma vision était si embrouillée que je ne pouvais pas voir les noms de mes contacts sur mon téléphone. Je voyais des couleurs fluo partout et je pouvais à peine me tenir debout. C’est là que j’ai compris que j’avais été droguée. Je me sentais si faible, je pouvais à peine penser. J’ai tenté de me diriger vers le plancher de danse, en me tenant sur le mur, mais cela me semblait être au bout du monde. Je me suis donc assise sur un tabouret et j’ai posé ma tête sur la table, pour tenter de me reposer quelques minutes. Je me répétais que je ne devais pas m’endormir, qu’il fallait que j’aille trouver mon amie. Je suis très chanceuse que ceux qui m’ont droguée n’en aient pas profité pour me prendre par le bras et me guider vers la sortie, prétendant qu’ils me connaissaient et étaient là pour m’aider.

    J’avais besoin d’air et la sortie se trouvait plus proche que le plancher de danse. J’ai donc tenté de m’y rendre, me disant que les  »bouncers » seraient là pour m’aider et me protéger en attendant que mon amie me trouve. Finalement, je m’y suis rendue, et une fois à l’extérieur, je me suis laissée doucement glisser sur le sol, en position assise, mon dos appuyé sur le mur. Je tentais de respirer lentement, de retrouver ma vision, mais mon coeur battait à toute vitesse et il n’y avait que des flash de couleurs fluo. Les  »bouncers » m’ont à peine regardée – habitués qu’ils sont, probablement, de voir des gens saouls sortir du club – et j’étais incapable de me relever toute seule ou même de parler. Finalement plus tard, j’ai réussis à appeler mon amie, qui est venue à ma rescousse et m’a ramenée chez moi dans un taxi. Je suis allée à l’urgence, mais on m’a dit qu’il est impossible de faire un test de drogue à moins de savoir quelle drogue m’a été administrée. J’ai eu l’impression qu’on ne me prenait pas vraiment au sérieux. J’ai expliqué que je n’avais presque pas bu d’alcool, que je n’étais pas saoule et que j’avais des symptômes de  »roofie ». Il m’ont passé quelques tests au coeur et aux poumons et m’ont renvoyée chez moi.

    Depuis, j’ai raconté cette histoire plusieurs fois, pour appeler à la vigilance. J’ai dis à mes amies d’être prudentes, car ça peut arriver à n’importe qui. Quelqu’un m’a raconté qu’il connaissait un gars qui a fait un genre de mini documentaire sur le sujet à Vancouver, parce qu’il voulait savoir s’il était facile de glisser une drogue dans le verre d’une fille sans qu’elle s’en rende compte. Il a donc testé avec une petite capsule inoffensive effervescente (qui fait des petites bulles dans le liquide). Il l’a testé non seulement dans des bars et des clubs de nuit, mais aussi en plein jour dans des restos et cafés. Lorsque la fille se retournait pour aller prendre quelque chose dans son sac à main, qu’elle regardait ailleurs pour quelques secondes, il glissait la  »fausse drogue » dans son verre d’eau, sa bière, ou son cocktail. Puis, juste au moment où elle allait prendre une gorgée, il l’arrêtait et lui pointait les petites bulles qui pétillaient dans le liquide et expliquait ce qu’il venait de faire. Apparemment, ça marchait à chaque fois. C’était la chose la plus facile à faire et personne ne s’en rendait compte.

    Quand j’étais en visite aux Îles l’été dernier et que j’ai appris ce drame qui s’est déroulé la nuit de la St-Jean, de la bouche de ma cousine, qui est une des amies de la victime et qui était là pour la supporter dans cette épreuve, j’ai vraiment eu un gros choc. Je ne pensais pas que cela était aussi un danger sur mes Îles chéries où j’ai grandi et où il n’y a généralement rien à craindre. On a vraiment franchi un tournant. J’ai compris que malheureusement, même aux Îles, et peut-être même encore plus parce que c’est un endroit où les gens ne se méfient de rien, ce n’était qu’une question de temps.

    J’ai pensé très souvent à ce qui s’est produit cette nuit de la St-Jean. J’ai averti ma fille qui partait pour un séjour aux Îles, d’être consciente et vigilante, parce que même aux Îles, ça se produit. Je ne connais pas l’amie de ma cousine, mais j’ai pleuré en lisant sa lettre publiée dans le Radar. Je ne peux même pas imaginer ce qu’elle a dû traverser et la blessure immense qu’elle aura probablement pour le reste de sa vie. Je l’admire énormément d’avoir amené cette histoire au grand jour.

    Il y a forcément des témoins de cet acte horrible et cruel. Ceux qui ont choisi de se taire, sachez que vous n’aidez ni les agresseurs – qui ont un grand besoin d’aide – ni votre communauté. Si ce geste ignoble n’est pas dénoncé, vous pouvez être sûrs qu’il va se reproduire. Ces hommes sont des violeurs. Et ils sont toujours en liberté. Qu’ils soient vos amis, vos frères, vos fils ou vos voisins, vous pouvez être certains que sans intervention, ils vont continuer de perpétrer ce genre d’acte infâme. Peut-être aux Îles, peut-être ailleurs, peut-être maintenant, ou dans 5 ans ou dans 20 ans. Et même aux Îles, vous n’aurez jamais l’assurance dans vos coeurs et dans votre tête que vos sœurs, vos mères et vos enfants sont à l’abris du viol.

    Il faut en parler. Il faut mettre des systèmes en place pour aider à prévenir ce genre d’acte violent. Et pour aider rapidement ceux qui en sont victimes.

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